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Le matin | Maroc | 01/05/2006
Et pourtant, les textes de loi sont clairs. Le bulletin officiel n°4726 du 5 joumada II 1420 correspondant au 16/09/1999 explique, sans équivoque, que les structures aussi bien publiques que privées, peuvent effectivement pratiquer les greffes de cornée et de tissu. Seul obstacle à cette procédure, l'obtention de l'autorisation du ministère de la Santé pour effectuer ces greffes dans le secteur privé. Le docteur Chahbi, met toute la lumière sur cette situation paradoxale qui n'a, à son sens, que trop duré.
Le Matin : Vous avez une histoire particulière avec la greffe de cornée au Maroc. Racontez-nous ?
Dr Mohamed Chahbi : Effectivement. Je n'en revenais pas de voir qu'au Maroc la greffe de cornée n'était pas pratiquée sur une grande échelle alors qu'en Tunisie, les ophtalmologistes l'effectuaient le plus normalement du monde.
J'ai, donc, essayé de prendre exemple sur un confrère tunisien, Salah Mahjoub, qui officie dans le secteur privé et qui fait entre 350 et 400 greffes par an.
Je me suis rendu sur place et, là, j'ai constaté que ce pays effectue ces opérations même s'il ne dispose pas de greffons.
Il les importe de Baltimore aux Etats-Unis. Etant donné que j'étais déterminé à faire avancer ce dossier épineux au Maroc, j'ai contacté, en 2003, la banque de tissus de Baltimore.
Cette institution a bien voulu nous fournir des greffons au prix préférentiel de 695 dollars.
Il était prévu que la banque nous donne pratiquement 150 greffons par an. Ils m'ont même fixé une date pour me les envoyer.
Nous avions les greffons, il suffisait juste d'avoir l'autorisation du ministère de la Santé.
Le texte de loi était clair et le bulletin officiel expliquait que les structures privées pouvaient effectivement pratiquer les greffes de cornée et de tissu. Je crois, d'ailleurs, que c'est la seule greffe d'organe autorisée par la loi et qui peut se faire dans le secteur privé.
Dans ce cas, qu'est-ce qui vous manque pour effectuer ces greffes ?
L'autorisation et les greffons étaient là, il ne manquait plus que l'agrément du ministère de la Santé. J'ai envoyé un courrier au premier ministre qui l'a transmis, à son tour, au ministre de la Santé. Ce dernier m'a envoyé une réponse évasive, ce qui m'a obligé à aller le voir.
Le problème se présentait comme suit : je trouvais inadmissible que le secteur privé ne puisse pas effectuer les greffes de cornée et que j'envoie mes patients en Tunisie.
Le ministre m'a répondu qu'il fallait d'abord attendre les élections du Conseil de l'ordre, (c'était toujours en 2003) à la suite desquelles il allait procéder à l'octroi des agréments.
Le ministre me donnait l'impression qu'il ne savait pas à qui donner ces agréments et qu'il y avait un problème de gestion à ce niveau.
C'est là que je lui ai proposé d'octroyer ces agréments uniquement aux cliniques ophtalmologiques spécialisées au lieu de les donner à tout le monde. De toutes les manières, il n'y en a que deux à Casablanca et un à Rabat, et s'il y en a d'autres qui s'ajoutent, peut-être qu'elles auront aussi cet agrément, renouvelable annuellement. De cette manière, si ces institutions ne respectent pas les conditions, on leur retire les agréments.
Qu'est-il advenu des greffons que vous avez importés de Baltimore ?
Malheureusement, il n'y a pas eu d'élection, il n'y a donc pas eu de changement.
Les choses traînaient et, puis, j'avais peur de perdre cette opportunité d'avoir des greffons de Baltimore. J'ai contacté Madame Berrehou, chef de service à l'hôpital des spécialités à Rabat et chef de service à l'hôpital Cheikh Zaïd d'ophtalmologie.
Elle est aussi membre du Conseil consultatif d'organes. Les membres de ce conseil aident un peu le ministre dans ce dossier de greffes de manière générale. Je lui ai dit que puisqu'elle est membre du conseil consultatif, elle pouvait utiliser ces greffons pour que le citoyen en profite. C'est ce qu'elle a fait.
D'ailleurs, je l'encourage et la remercie parce qu'elle était la première à faire des greffes dans le secteur privé à l'hôpital Cheikh Zaïd. J'ai été à l'origine de ces greffons et c'est tant mieux pour les Marocains qui en profitent. Par contre, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi l'hôpital Cheikh Zaïd, qui est une structure privée, peut effectuer ces greffes et pas les cliniques privées. C'est une question à poser au ministre de la Santé.
Il s'est attelé à finaliser le dossier de l'AMO (Assurance Maladie Obligatoire) sans qu'il y ait changement de bureau au sein du Conseil de l'Ordre.
Ce qui me pousse à penser que les gens ont peur et qu'ils n'ont pas envie de traiter ce dossier.
Déjà à l'époque de feu Sa Majesté Hassan II, le dossier était bloqué par certaines personnes qui mettaient en garde les décideurs contre les greffes qui, à leur sens, allaient susciter un trafic illégal, comme ce qui se passe en Amérique latine, en Turquie et dans d'autres pays.
Le problème de traçabilité des greffons fait craindre le pire au ministère de la Santé. Comment peut-il être géré à votre avis ?
Le problème des greffons a toujours été celui de leur traçabilité. Pour le résoudre, j'ai proposé que la banque de Baltimore soit agrémentée par le ministère de la Santé.
Si ces greffons s'avèrent insuffisants, on peut recourir à d'autres banques en attendant de créer nos propres réseaux. Au Maroc, il y a beaucoup d'accidents de la voie publique qui peuvent générer pas mal de greffons.
Il suffirait de sensibiliser les gens pour qu'ils fassent don de ces organes. En attendant, on peut importer des greffons avec des origines bien claires suivant la procédure en vigueur en Tunisie.
Le problème de la greffe de cornée est exactement le même que celui de n'importe quel autre implant qu'on met dans l'œil d'un patient.
On ne connaît pas son origine. On refuse d'importer des greffons alors qu'on en a vraiment besoin au Maroc pour de multiples raisons.
Premièrement, il faut savoir que pour traiter toutes les pathologies de cornée (trachome, lésions au niveau de la cornée) on peut rendre la vue aux patients avec un acte chirurgical très simple.
Seconde chose, les personnes qui ont été mal opérées de la cataracte, peuvent être rattrapées grâce à la chirurgie de la cornée.
Mais je crois qu'avant de donner des agréments, il faut imposer une tarification.
Il ne faut pas que le côté lucratif l'emporte sur le côté humain. Pour ce faire, il faut que les prix soient clairs.
D'ailleurs j'ai été étonné de constater que mes greffons, qui arrivent à 695 dollars, sont facturés à des prix inadmissibles.
Comment justifier cette tarification exorbitante ?
Ceux qui l'imposent prétendent utiliser du matériel jetable. Mais, même avec cela, les prix restent trop élevés.
L'hôpital qui a été agréé actuellement facture ses greffons à des prix qui peuvent atteindre 26.900 DH alors que quand j'envois des patients en Tunisie, ils payent 17.000 DH. Ce qui fait pratiquement 14. 000 DH plus 3. 000 DH d'honoraires.
Je crois que c'est suffisant pour le médecin. Je pense même que ce serait une bonne chose d'imposer la gratuité au niveau des honoraires.
De cette manière seuls ceux qui accepteront cette condition auront les agréments. Il ne faut pas que ces opérations soient à but lucratif, surtout qu'il s'agit d'organes qui ont été donnés gratuitement.
Le prix à payer devrait couvrir les frais de gestion. J'ai travaillé à la banque française des yeux, et je sais qu'il y a un coût même s'il y a beaucoup de volontaires. Je crois que ce n'est pas beaucoup de payer 7. 00 dollars par greffon au moins pendant une période provisoire puisque, de toute façon, il faut qu'on ait nos propres greffons. Je pense que c'est l'hôpital qui devrait s'acquitter de cette tâche.
Il faut savoir que le Maroc était le premier pays arabo-musulman à faire des greffes.
Malheureusement, il y a eu un incident pendant les années 80 à Salé, qui abritait l'un des grands instituts d'ophtalmologie en Afrique et dans lequel de grands patrons français faisaient leur formation. Il a nui à sa réputation.
Qu'en est-il du côté législatif quant à la greffe de cornée ?
Les textes sont clairs. Le secteur public est autorisé et une liste des hôpitaux agréés a été arrêtée.
Y figurent, entre autres, El Hoceima et Nador (rire) alors qu'ils ne disposent même pas de services d'ophtalmologie. C'est pour vous dire que le ministère de la Santé publique manifeste un certain laxisme vis-à-vis des services de la santé publique et des structures privées.
Pour résumer la situation on peut dire que vous trouvez paradoxal que les hôpitaux qui n'ont pas les structures adéquates soient autorisés à effectuer les greffes de cornée alors que ceux qui en ont, n'y ont pas droit ?
Aux Emirats Arabes Unies, je suis spécialiste des greffes de la cornée. Je fais des opérations à Abou Dhabi alors que je ne les fais pas au Maroc.
C'est absurde ! La technique est simple et codifiée. Si les autorités veulent contrôler, qu'elles le fassent. C'est comme si on interdisait le lait au Maroc parce qu'on ne peut pas le contrôler. C'est ce qu'on nous dit en fin de compte.
J'ai honte quand je vois des papiers signés par des chefs de service de Rabat ou de Casablanca disant que tel patient à besoin de soins dans un service hautement spécialisé. Je ne vois pas pourquoi l'Etat leur paye des formations à l'étranger pour qu'ils viennent exécuter des besognes que n'importe qui peut faire.
Normalement, les CHU doivent être une référence. Ils doivent faire de la chirurgie de pointe et non batailler pour faire de la petite chirurgie. Si moi médecin du secteur privé, j'ai un problème avec une pathologie, je dois l'envoyer au CHU où les gens sont payés pour faire de la recherche et ont une formation pointue que je ne peux pas avoir.
Alors que j'ai des papiers signés par des chefs de service qui disent que cette pathologie ne peut être traitée au Maroc.
Pourquoi les choses n'avancent pas à votre avis ?
C'est un dossier sur lequel je travaille depuis 2003. C'est dire que l'ophtalmologie est la discipline la mieux représentée dans toutes les institutions. Nous avons un vice-président du Conseil de l'ordre régional qui est le professeur Amraoui, et un vice-président du Conseil de l'ordre national, le professeur Zeghloul.
Ce sont des ophtalmologistes qui traitent avec le ministère. Même quand les lois ont été préparées, ils ont leur mot à dire et des propositions à faire. Malheureusement, dans cette loi, ils ont créé un petit problème.
Dans le bulletin officiel, les lois stipulent que l'importation ne peut être effectuée qu'au profit des établissements civils et militaires.
Il y a un article qui autorise le ministre de la Santé à agréer des cliniques privées pour faire des greffes de cornée après avis du Conseil de l'Ordre. Il y en a un autre qui dit que l'importation ne peut être effectuée qu'au profit des établissements publics, civils et militaires.
C'est-à-dire que n'importe quelle structure, quand elle importe des greffons, ne peut en faire bénéficier que l'hôpital. Ce dernier est, non seulement, incapable de nous préparer des greffons mais, en plus, il s'interpose pour l'importation.
Ce sont des gens qui travaillent dans le secteur public qui ont proposé cela.
Ce sont ces mêmes personnes qui sont en train de se plaindre aujourd'hui de ne pas être autorisées par la loi alors qu'ils le sont. Ils peuvent faire des greffes dès aujourd'hui. D'ailleurs, ils ont en effectué pas mal.
Où est le problème alors ?
Le problème pour eux se situe au niveau du paiement.
Ils se demandent qui va effectuer le virement ? Ce n'est donc pas un problème juridique. Ils sont agréés même avant cette nouvelle loi. S'ils peuvent prélever, ils peuvent faire des greffes.
Or, ils sont en train d'attendre pour voir comment régler les petits problèmes techniques d'importation des greffons.
Etait-ce à ce sujet que vous avez eu une altercation avec le professeur Zeghloul ?
Tout à fait. Concernant ce problème, je lui ai demandé, en présence du général Archane (président du Conseil de l'Ordre national), comment cela se fait-il que la loi donne au ministre de la Santé le droit d'octroyer des agréments à des cliniques privées alors que nous avons un problème au niveau de l'approvisionnement en greffons. Les hôpitaux n'en procurent pas et on ne peut pas les importer non plus.
Ils ont essayé de les centraliser.
Mais pourquoi va-t-on centraliser des greffons qu'on va importer. J'ai mes patients, je vais donc traiter avec les banques qui sont agréées par le ministère de la Santé et des banques internationales. Si la banque m'envoie les greffons, il faudra suivre la procédure comme elle se passe en Tunisie. Il y a trois papiers à remplir : une fiche spécifique au donneur attestant la conformité du greffon aux normes de prélèvement et de conservation, un certificat de l'origine du décès du donneur et un troisième document qui est l'autorisation «d'enlèvement», équivalent du certificat d'importation du greffon dûment signé par le ministère de la Santé avant l'arrivée du greffon à l'aéroport. Il ne faut, tout de même, pas importer des greffons de pays où sévissent le sida et l'hépatite.
Au stade où vous en êtes, comment comptez-vous plaider votre cause ? Allez-vous continuer à mener votre combat tout seul ou chercher des alliés pour avoir plus de poids ?
Il y a des associations d'ophtalmologistes du secteur privé qui ont travaillé sur le dossier. Malheureusement, il y avait des intérêts qui primaient au sein de ces associations.
Mais au Maroc, à chaque fois qu'on a envie de traiter un problème, la première question qu'on se pose est : «Est-ce que vous formez un groupe ?» Il n y a pas que les groupes qui réussissent toujours. Ce sont les entités qui avancent. Il faut aller de l'avant au lieu d'essayer de regrouper les gens, parce qu'on ne peut jamais regrouper les intérêts. Les lois sont là, mais il y a certaines choses à rectifier. Il faut donc le faire pour commencer à travailler. Nous avons perdu beaucoup de temps. Je vous ai parlé de Salah Mahjoub, le spécialiste tunisien qui fait entre 350 et 400 greffes de cornée dans un pays de plus 9 millions d'habitants.
Il y a beaucoup de Maghrébins et de patients d'Afrique subsaharien qui s'y rendent. Moi-même, j'y envoie une cinquantaine de patients par an. L'hôpital Cheikh Zaïd à lui seul ne peut pas couvrir toute cette demande. Il a de longues listes de patients qui attendent d'être opérés. Il n'est pas normal qu'on en reste au même point.
Propos recueillis par Kenza Alaoui
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