En effet, ces dernières années, le marché marocain de la dentisterie a perdu son monopole de seul et unique pourvoyeur de commandes en prothèses dentaires. Une déferlante européenne, française principalement, est venue chasser ce marasme. Du coup, des laboratoires ont vu leurs effectifs gonfler à vue d'œil afin de pouvoir donner suite et honorer ces commandes au nombre, parfois, hallucinant. Au point que certains prothésistes dentaires ont quasiment coupé les ponts avec les chirurgiens dentistes marocains, pour concentrer tous leurs efforts sur les importantes commandes du client étranger.

«Auparavant, durant ses heures de gloire, un laboratoire de prothèses dentaires arrivait à peine à produire, à titre d'exemple, une centaine de couronnes en céramique pendant tout un mois. Depuis l'introduction des commandes en provenance de l'Europe, ces mêmes laboratoires, grâce à la qualité de leur travail et à cette sous-traitance d'un genre nouveau, dépassent de loin deux centaines de commandes par jour ! », explique un prothésiste dentaire.

Initiée par des laboratoires européens à destination du Maroc, de même qu'elle résulte parfois de grandes opérations de prospection, cette sous-traitance porte en elle plusieurs spécificités. A commencer par le fait que la commande est effectuée par un prothésiste dentaire auprès de confrères marocains, et non pas comme le veut la règle de la profession, consistant à ce que ce soit un chirurgien dentiste qui passe sa propre commande chez un prothésiste dentaire.

Cependant, le plus édifiant est que le choix porté sur le Maroc rompe totalement avec la principale raison qui dicte toute sorte de sous-traitance ou de délocalisation, le coût en l'occurrence. Certes, le coût de toutes sortes de prothèses dentaires confectionnées au Maroc reste inférieur par rapport à ce qu'elles pourraient coûter en Europe - cela peut représenter la moitié des prix généralement appliqués, voire beaucoup moins par rapport aux tarifs affichés par les laboratoires européens de grande renommée.

«Il ne faut surtout pas penser que c'est une question de coût, mais c'est plutôt une question liée aux délais de réalisation et de livraison, ainsi qu'à la qualité irréprochable du travail. Les Marocains sont très doués pour les travaux manuels, sachant que lorsque l'on parle de prothèse dentaire, on parle surtout d'artisterie artisanale, et nos compatriotes ont fait leurs preuves dans ce domaine», souligne ce prothésiste.

Pour ce qui est de la qualité du travail, seul le chirurgien dentiste qui reçoit le produit fini pour une pose en bouche en reste juge. En ce sens, la montée en flèche du volume des commandes en provenance de l'Europe se passe de commentaire. Quant aux délais, ceux-ci battent tous les records de ce qui se fait en la matière. A cet effet, les délais conventionnels, ponctués de deux ou trois essayages, peuvent s'étaler sur une dizaine de jours, voire deux semaines ou plus dans certains cas, avant que le praticien ne reçoive le produit fini pour le sceller en bouche.

Pour les prothèses commandées à partir de l'étranger, on ne s'inscrit plus dans cette logique. En effet, dès que l'empreinte atterrit au laboratoire, la prothèse finie en ressort 48 heures après, prête à aller en bouche.

Cela revêt un caractère époustouflant lorsque l'on appréhende toutes les étapes de fabrication d'une couronne en céramique ou d'une prothèse amovible. Le plus remarquable, qui honore ces hommes et femmes en blouses blanches et la qualité de leur travail, c'est que le taux de retour des prothèses pour des raisons d'imperfection est quasi inexistant, sachant pertinemment qu'il n'y a pas eu d'essayages avant la finition de la prothèse. Cela n'est pas sans mettre en exergue une certaine dextérité, la maîtrise et un savoir-faire hors du commun. A souligner en ce sens que toutes sortes de prothèses y passent.

Il est question des prothèses fixes, à savoir la CCM (couronne céramo-métallique) et la CCC (couronne céramo-céramique), ainsi que les prothèses amovibles, entre stellites et prothèses partielles ou totales (dentier) en résine (voir encadré).

Sur la multitude des laboratoires marocains, quatre se sont démarqués et ont développé ce qui pourrait être qualifié d'industrie dentaire. Ces derniers tournent à plus de 150 employés, un record en soi, sachant que l'écrasante majorité des laboratoires au Maroc dépassent rarement une dizaine d'employés. De même, le laboratoire fonctionne 24h/24 et 7j/7, de sorte à ne pas perdre une seconde depuis l'arrivée de l'empreinte dentaire afin de respecter le délai fixé avec le client.
L'un de ces géants et précurseur de la sous-traitance dentaire, ayant pour principaux clients des laboratoires installés en France et en Angleterre, réalise quelque 90% de son chiffre d'affaires sur le marché étranger, le marché local représentant, somme toute, entre 5 et 10% du CA. Quant aux petits laboratoires, ils restent à cheval entre le client local et étranger.

Aussi, il n'est pas question pour ces derniers de traiter 200 commandes par jour, vu que leurs effectifs, une dizaine par labo, ne pourraient en aucun cas assurer une demande aussi importante. Ceux-ci tournent ainsi à 40-60 commandes par semaine, ce qui est important pour une petite unité de production. Parallèlement, et toujours en termes de qualité, les prothèses dentaires «Made in Morocco» se font de plus en plus d'échos à l'étranger. En effet, lors des salons et autres séminaires dédiés à la médecine, au paramédical ou à la pharmacie, de plus en plus de professionnels étrangers de la dentisterie s'invitent à l'événement, histoire de décrocher des contrats de sous-traitance avec des laboratoires marocains. Comme quoi, les Marocains ont la dent dure !

Kezako… ?

La couronne céramo-métallique (CCM) est réalisée en céramique sur une chape en métal non précieux, confectionné par un alliage à base de chrome et de cobalt, comportant des traces d'autres métaux, comme le molybdène dont le rôle est d'augmenter la fusion de l'alliage, ou encore un autre métal destiné à garantir une certaine élasticité de celui-ci. Le nickel entrait, de par le passé, dans la composition de cet alliage, mais il en fut banni à cause de son aspect cancérigène.
Selon la commande du chirurgien dentiste, le prothésiste peut utiliser du métal semi-précieux pour la confection de la chape métallique, ou du métal précieux, comme l'or ou le platine.

Cela s'impacte bien entendu sur le prix de la couronne. Au Maroc, le coût d'une CCM pour le patient commence à partir de 1.800 DH chez un dentiste qui respecte les règles de l'art et, surtout, le normes internationales en la matière. Une CCM peut coûter 700 ou 800 DH chez un charlatan ou même chez un chirurgien dentiste en mal de clientèle et adepte du gain facile, ou du «charlatanisme scientifique».
Pour ce faire, certains dentistes recourent au service d'un charlatan qui facturera la prothèse à moindre coût, plutôt qu'un laboratoire qui respecte les normes en vigueur et qui paye ses impôts. Facturée au national à hauteur de 350 DH dans les labos scrupuleux, la CCM destinée à l'étranger est facturée, en moyenne, à 30 euros.

Pour sa part, la couronne céramo-céramique (CCC) est réalisée entièrement en céramique, avec une chape en zircone à la place du métal; la zircone étant aussi solide que l'alliage chrome-cobalt mais beaucoup plus légère que le métal. De plus, elle garantit une meilleure translucidité, soit un aspect final beaucoup plus proche de la réalité que ne le garantirait une chape métallique. Pour bénéficier de ce plus, le prix d'une CCC de haute qualité avoisine les 5.000 DH chez le chirurgien dentiste. Facturée au labo aux environ de 700 DH, une CCC destinée à l'export coûte vers les 1.100 euros.

Quant au stellite, il s'agit d'une prothèse amovible partielle dotée d'un châssis métallique sur lequel sont montées les dents manquantes au patient.

Le terme «stellite» désigne, au fait, un alliage de cobalt, de chrome, de tungstène, de molybdène et de fer, caractérisé par sa dureté et sa résistance à la corrosion. Prix dentiste : à partir de 2.500 DH ; 600 DH au labo ; entre 35 et 40 euros en sous-traitance vers l'étranger.

Enfin, la prothèse amovible en résine peut être totale (dentier) ou partielle, à l'image du stellite, mais avec un châssis en résine rose. Son coût démarre à 600 DH chez le praticien et peut être revu à la hausse en fonction du nombre de dents qui viendront s'y planter.

Par Abdelhakim Hamdane