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Revue de presse

Chafik Chraïbi : "J’accuse le gouvernement, pour son incapacité à faire avancer le chantier de la légalisation de l’avortement"

Maroc Hebdo | Maroc | 23/09/2022

Entretien avec Chafik Chraïbi, gynécologue obstétricien et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin

Médecin spécialiste et activiste engagé pour la légalisation de l’IVG au Maroc, Dr. Chafik Chraïbi accuse la loi et le législateur d’être responsables du drame de Boumia, où une adolescente est décédée à la suite d’un avortement clandestin.

Le drame de Boumia ravive le débat sur l’avortement au Maroc. Quel commentaire faites-vous ?

J’accuse ! J’accuse le gouvernement en place et le législateur qui ne font pas leur travail pour faire avancer les choses. La réforme du cadre législatif relatif à l’interruption volontaire de grossesse est totalement à l’arrêt depuis le retrait du projet du Code pénal du parlement. Si la loi permettait à cette fille d’avorter, elle serait encore en vie. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Il ne faut pas qu’on se voile la face : ce drame a été directement causé par la criminalisation de l’avortement au Maroc.

Mais c’est un dossier qui dépasse le gouvernement actuel seul …

Justement, on s’attendait à ce que le gouvernement actuel, qui est en théorie plus progressiste que le précédent, fasse un effort dans ce sens, mais il n’y a rien. J’ai rencontré le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, à ce sujet et il m’a fait plusieurs promesses. Après quatre mois, les choses ne bougent toujours pas. J’ai rencontré d’autres responsables concernés, mais le résultat est le même.

La sensibilité du sujet sur le plan religieux serait-elle une barrière qui empêche toute avancée ?

C’est un faux prétexte pour ne rien faire pour changer la donne. Montrez-moi un seul texte religieux qui dit clairement que l’avortement est interdit par l’Islam ! Vous n’en trouverez aucun. C’est un problème de santé et non pas de croyances religieuses. Ce n’est pas la société qui gouverne. Ce n’est pas parce qu’une partie de la population répète le même discours hostile à la légalisation de l’avortement, sans réfléchir à cette problématique de façon logique, que nos institutions doivent suivre la même voie.
Ce n’est pas parce qu’on va légaliser l’avortement que les chiffres vont augmenter. D’ailleurs la réalité montre que dans les pays où cette pratique est légale, le nombre de cas est maîtrisé, car la légalisation est accompagnée également par la sensibilisation et l’éducation sexuelle. Et puis les 47.000 cas de décès enregistrés à cause de l’avortement surviennent dans les pays où cette pratique est interdite par la loi, et non pas dans ceux où elle est légale.

Où est le problème alors ?

Le grand obstacle, c’est surtout un manque de volonté politique et de prioritisation de la part de nos responsables, qui négligent ce dossier malgré sa très grande importance. Il ne faut pas oublier qu’on parle de 600 à 800 cas d’avortements clandestins par jours au Maroc, selon des chiffres non-actualisés. Pourtant, le Roi a ouvert la voie en 2015 en lançant le chantier de la réforme de la loi sur l’avortement. Mais le PDJ, qui était à la tête du gouvernement à l’époque et jusqu’à l’année dernière, a tout fait pour bloquer ce processus, même si Saâd Eddine El Othmani a montré des signes encourageants.
Et les politiques ne sont pas les seuls à blâmer. J’accuse la communauté scientifique d’être inactive face à cette question brûlante. J’ai demandé, par exemple, au Conseil national de l’ordre des médecins et aux représentants des gynécologues de m’appuyer dans mon plaidoyer auprès du département de la justice, mais ils n’ont pas répondu présents. Et puis il faut que nos scientifiques réalisent des publications qui démontrent et rappellent les dangers de l’avortement clandestin.

Donc en sept ans, les choses n’ont pas avancé, malgré l’initiative royale…

Pire encore, je peux vous affirmer que la situation a régressé. Car depuis quelques années, de plus en plus de médecins, d’infirmiers et autres professionnels de la santé sont arrêtés sur fond d’affaires d’avortements clandestins, alors qu’avant les autorités fermaient plus ou moins l’œil. À cause de ça, de moins en moins de praticiens osent réaliser des opérations d’interruption volontaire de grossesse. Par conséquent, les gens se dirigent de plus en plus vers des méthodes beaucoup plus dangereuses, dans des espaces moins sûrs sur le plan sanitaire.
Et cela a plusieurs répercussions, qui ne se limitent pas qu’aux cas de décès comme celui de l’adolescente de Boumia. Il ne faut pas oublier que recourir à l’avortement peut avoir plein d’autres effets sur la femme : intoxications par les substances utilisés dans ces opérations, complications liées à l’évacuation incomplète des tissus et des produits de la grossesse, délabrements permanents, notamment au niveau de l’appareil génital de la femme, pour ne citer que ceux-là.

En cas de légalisation, quels cas devront être concernés, selon vous, et avec quelles limites ?

La meilleure manière d’aborder cette réforme, est de prendre l’article 453 du Code pénal, le seul à l’heure actuelle à ne pas interdire l’avortement parmi tous les articles concernant cette pratique. Par la suite, il faut faire en sorte que la notion de “sauvegarde de la vie de la maman” mentionnée par ledit article pour justifier l’IVG, soit élargie pour qu’elle concerne la sauvegarde de la santé de la femme enceinte dans un sens plus large. Car, dans les faits, la situation actuelle met en danger la santé de ces femmes, et il faut remédier à ça.

Louay Kerdouss

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