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Revue de presse

Epidémiologie de terrain : Une discipline vitale en manque de spécialistes !

L'Opinion | Maroc | 13/09/2022

Alors que le danger des crises sanitaires plane sous nos cieux, le Maroc compte à peine quelque 90 épidémiologistes de terrain. Un manque de ressources humaines qui impacte la veille épidémiologique du pays.
Le Maroc compte à peine quelque 90 épidémiologistes de terrain spécialisés. Un chiffre en deçà des attentes, surtout avec les nouveaux dangers qui menacent la santé publique et qui ravagent non seulement les systèmes de santé, mais également les économies, comme en témoigne l’épisode Covid-19. Ceci renseigne sur l’importance de la veille sanitaire, qui recouvre la surveillance de l’état de santé des Marocains, d’une part, l’alerte, l’investigation et la réaction en cas d’épidémie, d’autre part, et que seuls les docteurs spécialisés peuvent assurer de manière efficace.

« Le métier des épidémiologistes de terrain est à caractère anticipatif et a pour objectif de prévenir la propagation des maladies infectieuses», selon Hind Ezzine, vice-présidente de l’Association Nationale d’Epidémiologie de Terrain (ANET), qui se prononçait sur le JT de la chaîne Al Oula, à l’occasion de la journée mondiale de l’épidémiologie de terrain, célébrée le 7 septembre. Celle-ci souligne, toutefois, le manque de ressources humaines spécialisées en la matière, notant qu’il faut sensibiliser les décideurs, la communauté scientifique et la population sur le rôle vital des épidémiologistes de terrain dans la protection de la santé des populations et dans la progression de la sécurité sanitaire mondiale.

Selon l’agence gouvernementale américaine des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), il faut un épidémiologiste de terrain pour 200.000 habitants. Selon Mohammed Ismaïli Alaoui, épidémiologiste membre de l’ANET, il faut «au moins un épidémiologiste pour 100.000 habitants ».

Ce seuil, selon notre expert, peut être atteint si les effectifs en formation sont renforcés. «Après, si d’autres spécialistes veulent s’installer dans notre pays, ils sont les bienvenus, mais cela ne doit en aucun cas nous faire oublier l’intérêt d’assurer une autosuffisance en matière de ces ressources humaines vitales pour notre pays», insiste-t-il.

Renforcer la formation, une priorité

Selon l’ANET, il est important d’avoir des investissements plus importants et plus durables dans la formation des épidémiologistes de terrain, ajoutant qu’une telle démarche renforcerait « les systèmes de santé » afin de détecter précocement et répondre rapidement aux épidémies, en particulier, et à d’ autres urgences de santé publique, en général.

« Jusqu’à aujourd’hui, sept promotions ont été formées (NDLR : huitième en cours), en plus des quelques confrères en provenance de pays africains », indique Hind Ezzine, ajoutant que les experts marocains ont acquis durant cette pandémie une grande expertise à travers le travail de terrain et les formations occasionnelles, tout en assurant les investigations des cas et des clusters, la recherche des contacts, le testing, la veille, la surveillance et les études.

Il faut donc capitaliser sur ces acquis, spécialement avec le chantier de réforme du système de santé. La création de nouveaux établissements de formation serait un bon début, selon nos experts, puisqu’actuellement, « il existe un seul établissement public, en l’occurrence l’École Nationale de Santé Publique (ENSP), qui prodigue une formation dans cette discipline depuis 2010 », déplore Mohammed Ismaïli Alaoui.

Réforme de la Santé : opportunité à ne pas rater

« Il est difficile d’imaginer un système de santé sans un organe spécialisé dans la veille épidémiologique », déclare Dr Ezzine, qui considère que cette réforme est l’occasion idoine de mettre en place une telle instance. « La veille permet de définir la situation épidémiologique du pays, ainsi que les maladies qui se propagent le plus dans le territoire national. Ceci permettrait de lancer des plans d’urgence ciblés qui permettront de lutter efficacement contre ces maladies », argumente-t-elle.

Une telle instance permettrait également de préparer le pays aux éventuelles urgences sanitaires, évitant ainsi d’être pris de court, comme ça a été le cas avec le SARS CoV-2. Ainsi, tous nos interlocuteurs s’accordent sur le fait que du moment que d’autres épidémies pourraient voir le jour dans le futur, il faut impérativement se prémunir de tous les dispositifs nécessaires pour consolider notre système de défense sanitaire.

Souhail AMRABI

MODELE D’OFFRE DE SOINS

Selon le rapport de la Commission présidée par Chakib Benmoussa, le renforcement de l’offre de soins implique une forte amélioration de la densité de personnel soignant sur l’ensemble du territoire, et un pilotage efficace de l’offre de soins, notamment au niveau régional.
Pour ce faire, le rapport estime qu’il va falloir atteindre une densité de personnel soignant de 4,5 pour 1000 habitants en 2035 contre 2 pour 1000 actuellement. « Cela correspond, en moyenne, à 3.600 médecins et 7.100 infirmiers formés annuellement », lit-on sur le document qui détermine la politique du pays dans les dix années à venir.

En plus, le rapport propose d’augmenter les capacités de formation des médecins en renforçant les capacités des CHU et Facultés actuels (publics et privés) : il est également proposé que le recrutement de médecins se fasse au niveau régional à travers des ouvertures de postes qui tiennent compte des besoins locaux. Enfin, afin de valoriser les métiers de la santé, il est proposé de mettre en place un statut particulier pour les professionnels de santé permettant de réviser le régime de rémunération à la hausse et de l’indexer sur la qualité et le rendement.

REFORME DE LA SANTE

Zoom sur les ressources humaines

En 2023, l’Exécutif entend continuer de mener les projets sociaux, tout en prenant les précautions nécessaires pour garder le contrôle des finances publiques et les marges budgétaires. Parmi les chantiers prioritaires figure la réforme du système de santé, qui vise l’amélioration des infrastructures, la refonte des instances de gouvernance, et la promotion des conditions des ressources humaines, que le gouvernement veut améliorer dès 2023 à travers la nouvelle loi sur la Fonction publique de Santé en vertu de laquelle le personnel de Santé aura une meilleure rétribution et plus d’incitations à la performance.
Ceci devrait coûter 2,2 milliards de dirhams (MMDH) sur deux ans, à partir de janvier 2023, tandis que six milliards seront dédiés aux infrastructures. 1,5 MMDH de cette enveloppe ira à la construction de nouveaux Centres hospitaliers universitaires (CHU) à Laâyoune et Rabat et plus de 3 MMDH seront alloués à la construction et à la mise à niveau de centres hospitaliers provinciaux (CHP) et régionaux (CHR).
Pour ce qui est des ressources humaines, les priorités du gouvernement sont claires : recruter assez de médecins pour atteindre l’objectif de l’OMS en termes de couverture médicale, c’est-à-dire 24 cadres pour 10.000 habitants. Ceci dit, le gouvernement s’apprête à augmenter le nombre du personnel médical de 68.000 cadres en 2022 à 94.000 en 2025 avant d’arriver à 177.000 en 2030.
Cet effort de recrutement requiert une enveloppe budgétaire de 3 milliards de dirhams qui financera, en plus des nouvelles recrues, la construction de trois Facultés de médecine et trois CHU à Errachidia, Guelmim et Béni Mellal.

TROIS QUESTIONS À ISMAÏLI ALAOUI

« Il faut un épidémiologiste pour 100.000 habitants »

Dr Mohammed Ismaïli Alaoui, épidémiologiste membre de l’Association Nationale d’Épidémiologie de Terrain (ANET), a répondu à nos questions sur la spécialité de l’épidémiologie de terrain, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de l’épidémiologie de terrain.

L’épidémiologie de terrain est une discipline dont les spécialistes sont peu nombreux, quel est l’impact de ce manque de RH sur le Royaume ?

La pandémie du Covid-19 a montré à tout le monde l’intérêt capital d’une telle spécialité. L’épidémiologie de terrain est une discipline primordiale dans tout système de santé, car les spécialistes de ce domaine assurent la surveillance épidémiologique, l’investigation des cas et des contacts entre autres activités qui constituent la pierre angulaire pour surveiller et riposter à tout phénomène épidémique, bien-entendu en toute coordination avec les autres spécialités.
Actuellement, notre pays dispose d’un nombre limité de spécialistes dans cette discipline, ce qui impacte directement ses activités inhérentes et rend le fardeau très lourd sur ceux qui se chargent d’assurer ces fonctions dans le contexte actuel à tous les niveaux d’exercice : national, régional et provincial.

S’agissant du volet formation, y a-t-il suffisamment d’établissements pour former les spécialistes ?

Actuellement, il existe un seul établissement public, en l’occurrence l’École Nationale de Santé Publique (ENSP), qui prodigue une formation dans cette discipline depuis 2010. L’ENSP a formé jusqu’à maintenant 7 cohortes d’épidémiologistes de terrain du niveau avancé qui relèvent du programme Épidémiologie de Santé Publique ou FETP-Morocco (Field Epidemiology Training Programme), qui est un programme de formation qui se fait en partenariat avec les Centres de Prévention et de Contrôle des maladies (CDC) des USA (bien-entendu, je ne parle pas ici de l’épidémiologie clinique étant une discipline dont la formation est assurée par les Facultés de Médecine et de Pharmacie).

L’Exécutif s’apprête à autoriser les médecins étrangers à exercer au Maroc, peut-on prévoir une telle mesure également pour les épidémiologistes, de sorte à promouvoir la recherche scientifique ?

Il est primordial que notre pays assure des effectifs convenables en épidémiologistes de terrain, car cela s’inscrit dans la souveraineté du pays d’avoir des spécialistes qui vont assurer les fonctions essentielles de surveillance et de riposte aux différents phénomènes épidémiques, qui ne cessent de s’accentuer ces derniers temps.

A cet effet, et pour garantir la sécurité sanitaire du pays, les épidémiologistes de terrain sont le pilier de tout système de surveillance et de riposte, surtout durant les situations de crise telles que la Covid-19. A ce titre, il est fort recommandé que notre ministère assure au moins un épidémiologiste pour 100.000 habitants. Ce seuil peut être atteint si les effectifs en formation sont renforcés.

Après, si d’autres spécialistes veulent s’installer dans notre pays, ils sont les bienvenus, mais cela ne doit en aucun cas nous faire oublier l’intérêt d’assurer une autosuffisance en matière de ces ressources humaines vitales pour notre pays.

Recueillis par A. M.

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