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Hespress | Maroc | 15/09/2021
Nul doute que le système de santé marocain a besoin d’une réforme. Personne ne sera surpris admettre que le processus de réforme de santé doit suivre le processus le plus communément admis pour une démarche médicale, celui de faire un bon diagnostic pour pouvoir prodiguer le bon traitement.
Les dysfonctionnements dans le système actuel et les ambitions de développement d’un système équitable, performant et efficient sont nombreux et nécessitent une approche avec des actions sur plusieurs fronts en même temps. Certaines doivent être à court terme et d’autres devraient s’inscrire dans une logique de stratégie de développement moyen et long-termes. Je souhaiterais me limiter ici à une seule des facettes de la réforme pour livrer mes réflexions sur les propositions du projet de loi quant à l’implication potentielle des médecins étrangers.
J’ai été formé à l’étranger, d’abord en France, avant d’exercer au Canada et en suite en Suisse, tout en étant impliqué dans la formation des jeunes médecins au Maroc. J’ai souvent été confronté au système marocain actuel et son protectionnisme exagéré, notamment par la politique menée par le conseil de l’ordre des médecins. Cependant, entre le protectionnisme exagéré et une libéralisation non contrôlée, il y’a certainement une juste mesure. C’est en tout cas l’expérience que j’ai acquise en navigant dans des systèmes américains et européens.
La réponse à la question de savoir si le système de santé marocain a besoin des médecins étrangers nécessite une analyse préalable. Elle sonne comme un traitement à prescrire à un système de santé malade. Beaucoup d’autre systèmes de santé sont malades à travers le monde, aux Etats Unis et en France à titre d’exemples. Cependant, ils n’ont pas nécessairement la même maladie et ne peuvent être traité de la même manière. Avons-nous fait le ou les diagnostiques qui dictent la démarche thérapeutique au système de santé marocain ?
En réalité, il y a quatre questions, correspondant chacune à une dimension différente, qui doivent être traitées séparément, les activités de soins, la formation, la recherche, et enfin les infrastructures la gestion des systèmes de soins.
Force est de constater que les besoins de soins au Maroc augment très rapidement pour plusieurs raisons. Certes le développement rapide du pays et sa sortie progressive des pays en voie de développement pour rentrer dans le cercle des pays développés induisent des exigences de soins et un accès aux soins comparables à celui des pays européens. Les autres facteurs importants sont certainement l’évolution démographique du pays, une politique de formation professionnelle inadéquate, une politique de répartition des médecins sur le territoire défaillante, la désertification du secteur public accentué par une politique agressive de création d’institutions privées non autonomes puisant dans les ressources médicales publiques pour fonctionner, la non valorisation des métiers de la santé et enfin la migration des médecins marocains, formés au Maroc, à l’étranger qui résulte en grande partie de ce qui précède.
Face ces problèmes, le recrutement des médecins étrangers ne sera d’aucun secours. Il faudrait que ces médecins aient une formation meilleure et accepte de combler des lacunes que les médecins marocains ont laissées. Il est illusoire de croire que des médecins qualifiés viendront exercer dans des zones reculées ou manque de médecins généralistes pour un revenu déjà indécent pour les autochtones. De surcroit, les pays d’origine de ces médecins, pays francophones comme la France, vivent déjà une crise dans leur propre système de santé et ont eux-mêmes besoins de recruter dans d’autres pays.
Les médecins étrangers sont susceptibles de venir pour un exercice de soins lucratifs dans des zones urbaines faciles d’accès et au mode de vie occidentalisé. Certaines compétences peuvent nécessiter une formation spécifique. On comprend aisément que pour ces compétences, faire appel à des médecins étrangers dans le cadre de missions de soins et/ou de formation est fort utile. Je pense que ces missions doivent être encadrées et les démarches qui permettent de les mettre en place doivent être facilitées.
Le développement de la mission de soins ne doit en aucun cas s’apparenter au développement d’un « marché » de santé. Si je peux comprendre le « tourisme de santé des malades » qui confèrent à ces derniers le choix de se faire soigner ou ils veulent, je ne peux comprendre et encore moins cautionner un « tourisme de santé des médecins » ou le patient marocain serait une cible de convoitise des médecins étrangers.
Par ailleurs, la pratique de la médecine est encadrée dans tous les pays du monde industrialisé. Elle permet d’équilibrer les demandes et les offres et participe efficacement aux maitrises médicalisées des dépenses de la sante. Si la médecine repos sur des concepts communs à tous les pays, son exercice ne l’est pas. Il ne s’agit pas de traiter des maladies mais de prendre en charge des malades dans leur contexte socioculturel.
Un système sain et un système pérenne et qui à une vision long-terme. Panser des plaies sans avoir une politique de prévention de ces plaies est une mesure circonstancielle couteuse, pas toujours efficace et souvent contreproductive exposant à des complications, encore plus difficile à gérer.
Il faut promouvoir les métiers de la santé dans l’exercice académique et universitaire. La solution de création d’universités privées est bonne mais ne peut se faire aux dépens des universités publiques. La réforme doit s’attaquer aussi à cette dimension. Elle conditionne le fonctionnement du système dans les 5 à 10 ans. Les médecins étrangers universitaires peuvent activement et efficacement participer à l’enseignement.
Un système de santé vivant et viable doit être producteur et pas seulement un simple consommateur du savoir et savoir-faire développé ailleurs. Il faut impérativement promouvoir la recherche médicale, en particulier clinique. Celle-ci doit passer par les aides et financements pour la recherche, la mise en place d’une politique d’éthique pour la recherche clinique décentralisée, et la création et le renforcement des collaborations internationales en recherche clinique avec les pays développés mais pas seulement.
Le rôle moteur du Maroc dans une recherche africaine doit être primordial. Les compétences des médecins étrangers dans la recherche sont capitales pour entre autres mettre en place ces collaborations.
Dans les trois missions précédemment citées, le rôle des médecins étrangers mais aussi de tous les professionnels de la santé est important pour se doter d’infrastructures compatibles avec les développements technologiques de l’exercice médical mais aussi des processus de gestion professionnels et transparents. L’ère des entreprises « familiales » dans l’exercice de la médecine moderne est révolu.
Le projet de loi traite sur le même niveau les médecins étrangers et les médecins marocains citoyens du monde. A mon avis c’est une erreur. Les médecins marocains exerçant à l’étranger sont des marocains. Certains souhaitent exercés au Maroc et d’autre souhaite simplement aider les professionnels de la santé du Maroc à accomplir leurs missions. Dans les deux cas, leur intégration dans les différentes misions suscitées, en fonction de leurs compétences est indispensable. Je n’ai pas compris leur exclusion, surtout pour venir travailler dans hôpitaux universitaires. Aujourd’hui, je ne peux que saluer l’initiative du projet de loi. Je regrette cependant, que les médecins marocains, en particulier les universitaires, n’aient pas été consultés pour bénéficier de leur expérience et leur vision, pour la formation et les aspects académiques.
Il faut renforcer la présence de la diaspora marocaine au Maroc, en particulier médicale est une des missions prioritaires de nombreuses associations marocaines comme l’association des cadres suisses d’origine marocaines (ACOMS). Cette diaspora a une valeur rajoutée qui ne se limite pas uniquement aux aspects opérationnels mais aussi aux visions stratégiques du futur. Le Maroc gagnerait à intégrer des consultants experts de sa diaspora dans de nombreux secteurs d’activité dont la santé.
En conclusions, le Maroc a besoin des médecins étrangers mais pour des missions spécifiques et encadrées, avec le cas échéant des autorisations de pratique restrictives. Le Maroc doit veiller à ce que ces citoyens ne se trouvent pas des cibles privilégiées d’une certaine forme de « tourisme de santé des médecins ». Plus important, la réforme de santé ne doit pas confondre médecins étrangers et médecins marocains citoyens du monde. Les compétences médicales de la diaspora marocaine doivent être intégrées différemment et séparément dans le système de santé et ce de l’exercice sur le terrain, incluant la formation et la recherche, jusqu’à la vision stratégique du futur.
Salah Dine Qanadli
Professeur de médecine à l’Université de Lausanne et membre fondateur de l’ACOMS
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