La place de la dialyse péritonéale en néphrologie
est au centre d’un débat en France qui peut être profitable
pour le Maroc où le traitement par dialyse constitue un problème
de santé publique à plus d’un titre. Nous reproduisons ci-dessous
le point de vue du Pr. Bernard Canaud (natif de Meknès), du service de
néphrologie-dialyse-soins intensifs à l’hôpital Lapeyronie
du CHU de Montpellier.
L'éditorial de Issad B. et al. concernant la place de la dialyse péritonéale
en France à l'horizon 2010 au sein des modalités de suppléance
rénale et à la lumière des récents décrets,
soulève un vrai problème. Quinze pour cent de patients dialysés
et traités par dialyse péritonéale en 2010 : mythe ou réalité
? Le débat reste ouvert. La question soulevée, par Issad B. et
al., est réellement d'actualité. L'argumentaire, pour être
recevable, se doit cependant d'être complet, impartial et non erroné.
Que la dialyse péritonéale soit une méthode sous-utilisée
en France est certainement vrai ! Que la dialyse péritonéale apporte
une réponse thérapeutique adaptée à certains patients
est aussi exact ! Que les progrès techniques accomplis (en matière
de cathéters, de solution péritonéale, de système
de transfert, de distributeur...) ait rendu cette méthode plus simple,
plus sûre et finalement plus accessible est également exact. Que
la survie des patients en dialyse péritonéale soit équivalente
à celle des patients hémodialysés dans les deux premières
années de traitement est également vrai !
En revanche, affirmer que la dialyse péritonéale est sous-utilisée
en France, en prétextant que les Sociétés savantes ne croient
pas en la méthode et la considèrent comme une thérapeutique
de seconde catégorie, que les universitaires n'enseignent pas de façon
correcte cette méthode, que les néphrologues de centre n'offrent
pas cette modalité pour des raisons bassement matérielles, que
la dialyse péritonéale soit désavantagée en termes
de remboursement, tout cela est en grande partie faux. En effet, le modèle
de l'Île-de-France tel qu'il est décrit ne reflète heureusement
pas la réalité hexagonale. Il s'agit là d'un modèle
jacobin totalement dépassé à l'heure de la régionalisation.
Ma part de vérité dans ce débat est sensiblement différente.
Vouloir redonner sa place à la dialyse péritonéale dans
le cadre des modalités thérapeutiques de l'insuffisance rénale
relève d'un programme plus ambitieux que l'on pourrait résumer
de la façon suivante :
- éviter la sectorisation et le cloisonnement des néphrologues
impliqués dans te traitement de l'insuffisance rénale, que ce
soit par dialyse péritonéale, hémodialyse ou transplantation
rénale. Cette sectorisation apporte une vue avec oeillères extrêmement
biaisée qui ne permet plus d'analyser objectivement les avantages ou
les risques d'une méthode thérapeutique par rapport aux autres.
De plus, elle engendre un sentiment de frustration individuelle en situation
d'échec. Il s'agit là d'un problème «d'EGO»
personnel plus que d'échec proprement dit de la méthode thérapeutique
;
- reconnaître et accepter les limites de la dialyse péritonéale.
En effet, il semble actuellement bien établi que l'efficacité
de la méthode s'appuie sur la préservation prolongée
d'une fonction rénale résiduelle. Il est également reconnu
que la perméabilité de la membrane péritonéale
est limitée dans le temps. Enfin, il est accepté que cette méthode
s'applique difficilement à des patients dont l'anthropométrie
ou les besoins métaboliques dépasseraient les capacités
de ta méthode ;
- faciliter les transferts d'une méthode à l'autre. Cela sous-entend
un transfert précoce notamment lorsque l'état général
du patient se dégrade, la lassitude vis-à-vis de la méthode
s'installe et que les paramètres biologiques a fortiori se dégradent
;
- replacer la dialyse péritonéale dans le cadre des méthodes
thérapeutiques autonomes et de domicile. En effet, l'hémodialyse
à domicile est une alternative tout à fait intéressante.
Cette méthode est également sous-utilisée bien que les
résultats soient excellents. Son faible développement en France
relève des mêmes obstacles que ceux rapportés pour la
dialyse péritonéale. Cela dit, le rapport coût/efficacité
est nettement en faveur de l'hémodialyse à domicile ;
- favoriser le fonctionnement en réseau des néphrologues (public,
privé et associatif) et permettre ainsi une prise en charge optimale
et graduée des patients tenant compte de leur profil médical,
des facteurs de risques et de handicap, ainsi que de leur qualité de
vie. Développer l'information précoce des patients et de leur
famille dans le cadre du suivi néphrologique est également un
élément très intéressant réduisant l'angoisse
et facilitant l'orientation secondaire des patients vers des méthodes
autonomes ;
- accepter de confronter les résultats des différentes méthodes
thérapeutiques (dialyse péritonéale, hémodialyse
et transplantation rénale) en évitant d'opposer les méthodes,
mais plutôt en soulignant leur complémentarité pour une
prise en charge optimale de l'insuffisance rénale chronique.
En définitive, la mission essentielle d'un néphrologue est d'apporter
au patient insuffisant rénal une thérapeutique adaptée
et personnelle, capable de lui offrir les meilleures chances de survie et de
préserver l'intégrité de sa qualité de vie. Il s'agit
là des bases de la médecine humaniste et non égocentriste
que chaque néphrologue doit s'imposer. Cela relève d'une écoute
attentive et permanente des plaintes du patient, d'une analyse objective de
la situation clinique en évitant de transposer ses sentiments personnels
à ceux d'une méthode. C'est ce que l'on pourrait appeler une médecine
orientée vers le patient et non pas vers le traitant.
Bernard Canaud
Service de néphrologie-dialysé-soins intensifs, hôpital
Lapeyronie, CHU de Montpellier