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Revue de presse

Khadija Moussayer : « L’entrée dans la vieillesse se fait réellement vers 67-68 ans au Maroc »

Aujourd'hui Le Maroc | Maroc | 08/03/2018

La médecine des personnes âgées est une spécialité très peu convoitée. Bien qu’elle concerne une large partie de la société, elle est méconnue au Maroc. Khadija Moussayer, nous en parle.

ALM : Quand et pourquoi consulter un gériatre ?

Khadija Moussayer : La personne âgée (PA) présente des spécificités dues à son vieillissement physiologique : elle présente le même type de maladies qu’à un autre âge mais leur impact est beaucoup plus fort et une seule maladie localisée peut même perturber plus facilement l’ensemble de l’organisme. D’où l’intérêt de consulter un gériatre qui a une vision plus globale des problèmes des personnes âgées de la même façon que le pédiatre connaît bien les particularités de la santé des enfants. Le vieillissement de l’organisme a d’ailleurs des conséquences, bien souvent sous-estimées au Maroc, sur la prise en charge. Ainsi par exemple, avec l’âge l’altération des perceptions des odeurs et du goût stimule moins l’appétit : la capacité discriminative s’affaiblit, d’où une difficulté à identifier les aliments: le seuil de détection des 4 saveurs de base augmente (multiplié par 11,6 pour le salé, 7 pour l’amer, 4,3 pour l’acide et 2,7 pour le sucré). Près de 400 médicaments, des carences en zinc ou en vitamine B3, la cirrhose du foie ou la déshydratation perturbent le goût. La perte d’appétit découle aussi d’une sénescence des glandes salivaires : les aliments n’étant plus correctement imbibés, les molécules porteuses de saveurs appétissantes sont moins actives. Tous ces facteurs sont souvent cause de malnutrition. Plus encore, les PA sont plus fragiles face aux médicaments (élimination rénale ralentie, accumulation dans les graisses et passage plus agressif dans le cerveau… des médicaments). De façon générale, les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme. Le paracétamol s’élimine deux fois plus lentement, le diazepam (Valium), quatre fois plus lentement (il faut 80 heures – 3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée et, avec une prise quotidienne, le médicament peut s’accumuler jusqu’à l’intoxication).

On dit qu’on ne vit que l’âge de ses artères, à partir de quel âge doit-on consulter un gériatre ?

L’augmentation de la proportion des PA (10% en 2015, 14% en 2025 et 25% en 2050) est souvent regardée au Maroc avec une certaine inquiétude quant à la capacité du pays à faire face aux défis qu’elles vont représenter à l’avenir. On pense en effet que toutes ces personnes sont des « malades potentiels » demandant une médicalisation forte et particulière (avec intervention de spécialistes en gériatrie). Une préoccupation à relativiser : la notion de PA est très arbitraire car assimilée à celle du départ à la retraite entre 60 et 65 ans. « L’âge de la vieillesse » devrait en fait plutôt se référer à un seuil physiologique biofonctionnel couramment utilisé par les gérontologues : l’âge auquel il reste une espérance de vie de 10 ans, sachant que les premiers signes de perte d’autonomie apparaissent en général 10 ans avant la mort. A partir de différentes études, on peut estimer que l’entrée dans la vieillesse se fait réellement vers 67-68 ans au Maroc, ce qui diminue par deux le nombre de personnes âgées « physiologiquement » ! Avec le progrès de la médecine et l’amélioration du niveau de vie, une personne de 70 ans est actuellement souvent en meilleur état qu’une personne de 50 ans dans les années 1950 ! Il serait d’ailleurs plus pertinent au niveau médical de séparer la population très hétérogène des plus de 60 ans en deux groupes : un troisième âge sans ou avec peu d’incapacité et un quatrième âge en général à partir de 75 ans, avec incapacités, là où il faut mettre le maximum de moyens et où l’intervention de médecins formés à la prise en charge des personnes âgée paraît nécessaire.

Avec le vieillissement de la population, pensez-vous que le nombre de médecins qui exercent cette spécialité est suffisant comparé au nombre de cette population ?

Avant d’évoquer seulement la gériatrie, la prise en charge efficace d’une PA nécessiterait une évolution de notre système de santé : il faudrait qu’elle soit effectuée par un seul médecin référent à compétence globale et transversale (généraliste, gériatre ou interniste) qui centralise les informations et coordonne les soins. La gériatrie est née au Maroc dans les années 2000 avec la décision du ministère de la santé d’envoyer en France une quinzaine de spécialistes en médecine interne afin qu’ils acquièrent une seconde spécialité en gériatrie. Ces internistes-gériatres, avec au total une formation de 6 ans, sont les mieux à même de gérer les cas les plus complexes ou graves.

Il y a aussi quelques spécialistes en gériatrie (sans être internistes) qui ont obtenu leur spécialité (une formation en 3 ans) en France à partir de 2005, l’année où seulement elle est devenue une spécialité de plein exercice dans ce pays ! Il y a enfin plusieurs dizaines de médecins généralistes qui ont une orientation en gériatrie, grâce à des formations spécifiques. Au-delà de ces quelques dizaines de médecins dédiés aux PA, un chiffre dérisoire et notoirement insuffisant, les spécialistes en médecine interne sont aussi par nature compétents sur l’ensemble des problèmes de santé des PA. Là aussi malheureusement leur effectif au Maroc (près de 250) est trop insuffisant.

Y a-t-il une prise en charge pour les personnes âgées au Maroc ou des centres spécialisés ?

Seulement 20% des PA disposent d’une couverture sociale et médicale. La famille, et en son sein particulièrement les femmes, continue heureusement de jouer un rôle essentiel dans la prise en charge de ces personnes. Or, la montée prévisible de l’insertion des femmes dans le marché de l’emploi va certainement mettre à mal cette solidarité. La prise en charge de ces personnes est également menacée par la nucléarisation croissante des ménages (de 1982 à 2010, la taille moyenne des ménages est passée de 6 à 4,9 personnes). Il paraît nécessaire de développer des maisons de retraite médicalisées et des services hospitaliers spécialisés, principalement à l’égard du quatrième âge. En effet, selon les estimations, quelque 188.000 personnes vivront avec une incapacité lourde à l’horizon 2030, ce qui exercera une pression accrue sur les services de santé. Pour le moment ces structures sont pratiquement inexistantes.

Ouchagour Leila

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