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Libération | Maroc | 12/10/2011
Avec sa voix hésitante, donnant une impression de fragilité, Naima Trachen, présidente d'Amali et mère d'un fils schizophrène, a affirmé que les familles des personnes atteintes de schizophrénie vivent un stress permanent. Elles se sentent épuisées, désemparées et désarmées face à la maladie. Elles éprouvent des sentiments de fatigue chronique, une perte d'intérêt pour la vie et un épuisement total. Certaines se sentent nettement atteintes dans leur bien-être mental et physique. « Les familles concernées par cette maladie ne vivent pas. Elles survivent plutôt. Leur quotidien est constitué d'angoisse, de stress et d’attente d'un lendemain meilleur qui tarde toujours à se pointer », a-t-elle confié avant d'ajouter : « On dort et on se réveille sur les mêmes questions et les mêmes doutes : va-t-il prendre ses médicaments ? Risquera-t-il une nouvelle chute ? Va-t-il se suicider aujourd'hui ? On vit sur nos nerfs car on s'attend à tout ».
En effet, la schizophrénie est une maladie plus répandue qu'on ne le croit généralement, puisque sur 100 naissances à travers le monde, un bébé deviendra schizophrène, soit 1% de la population mondiale. Au Maroc, c'est 1.400.000 personnes touchées par cette maladie mentale dans laquelle le fonctionnement cérébral est sévèrement altéré à certains moments. Elle apparaît aussi souvent chez les hommes que chez les femmes, généralement à l'adolescence ou chez l'adulte jeune (entre 15 et 25 ans).
Le risque d'être atteint de la maladie est de 10 à 15% lorsqu'un frère ou une sœur souffre de schizophrénie et augmente environ 40 à 50% si le père ou la mère en sont atteints. Il est d'environ de 3% pour les nièces, neveux ou petits-enfants d'une personne atteinte. Si l'un des jumeaux souffre de cette maladie, l'autre a environ 50% de chance d'y échapper.
Dans tous les cas, la maladie aurait besoin pour se manifester d'un élément déclencheur comme la pression de performances aux études ou au travail, la consommation de drogues ou après des situations stressantes provoquées par les événements de la vie qui peuvent être positifs ou négatifs.
La personne atteinte éprouve de plus en plus de difficultés à établir le contact avec son entourage et se trouve envahie par des idées et des intuitions étranges. Elle a des hallucinations et se trouve souvent en prise avec des représentations délirantes. Mais la grande obsession des familles reste le suicide. « La peur d'un suicide nous hante et rend notre existence infernale. C'est pourquoi on doit les suivre 24h/24 et 7j sur 7», a indiqué Touria Yacoubi, membre de l'Association. En effet, le suicide représente la première cause de mortalité prématurée chez les personnes atteintes de schizophrénie. Selon des chiffres de l'OMS, ils sont 10 à 13% qui se sont suicidés et 20 à 40% qui ont tenté d'en finir avec leur vie. Deux tiers des suicides ont lieu pendant les six premières années qui constituent la période où le risque de suicide est le plus important.
Beaucoup le font sous l’influence de leurs délires et hallucinations. D'autres, par le simple fait qu'ils ne supportent plus la vie qu'ils mènent.
Pourtant, la souffrance des familles n'est pas seulement psychologique, elle est également matérielle. En effet, beaucoup d'entre elles endurent la rareté des centres hospitaliers spécialisés dans ce genre de maladies mentales et la mauvaise qualité des soins et services offerts.
Les malades qui affluent vers ces infrastructures hospitalières doivent se déplacer à leurs frais et se contenter d'une courte période d'hospitalisation qui ne dépasse pas les 15 jours en se procurant leurs propres médicaments, alors même que le Dahir du 30 avril 1959 stipule la gratuité des médicaments et de l'hospitalisation. « Les médicaments administrés sont chers. Il faut compter dans les 3.000 DH par mois pour chaque patient. C'est pourquoi beaucoup de malades se trouvent dans des cas extrêmement difficiles faute de traitements », a souligné Oum Kelthoum El Khalifi, secrétaire générale de l'Association.
Mais une fois sorti de l'hôpital, le malade est livré à lui-même. Il ne sera ni suivi ni accompagné ; c'est aux familles de se débrouiller seules face à l'absence de structures d'accueil intermédiaires.
De son côté, Amina Bencherki, vice-présidente d'Amali, a révélé que la schizophrénie est entourée d’idées reçus et donne lieu à bon nombre de conceptions erronées. C'est le cas selon lequel les personnes atteintes sont violentes. « En vérité, elles sont en général timides, craintives face aux autres et assez vulnérables. Des études récentes ont montré que les personnes malades sont le plus souvent victimes de violence qu'elles n'en sont les auteurs. Les données scientifiques ont révélé que la prévalence des crimes violents envers ces patients est de 11,8 fois plus importante que parmi la population générale et que la prévalence des vols est quant à elle 140 fois plus élevée », a-t-elle précisé.
La vice-présidente a également souligné que beaucoup de gens confondent schizophrénie et « personnalité multiple », trouble psychiatrique moins fréquent et fort différent de la schizophrénie mais bien connu du grand public depuis la parution de romans psychologiques tels que « Docteur Jekyll et Mister Hyde » de R.L Stevenson. « Quand le terme schizophrénie a été utilisé par Eugen Bleuler, il a cherché à mettre en évidence la dissociation qui existe entre la perception de la réalité et le monde réel et il n'a pas voulu faire allusion au dédoublement de la personnalité mais à la dissociation de la personnalité qui provoque une perte de contact avec le réel », a-t-elle noté avant de conclure qu'il faut parler ouvertement de la schizophrénie plutôt que de pratiquer la politique de l'autruche devant tant de souffrances et de désarroi.
Hassan Bentaleb
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