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Le matin | Maroc | 28/01/2006
Vous venez de publier le livre blanc sur la couverture sanitaire de
la femme, qui dénonce une dure réalité et qui fait que
toutes les six heures une mère meurt d'une complication liée à
la grossesse ou à l'accouchement.
Quelles propositions faites-vous pour remédier à cette situation
?
Le livre blanc sur la couverture sanitaire de la femme marocaine a été
réalisé par un comité scientifique de gynécologues
pour tirer une sonnette d'alarme. C'est un constat sur une situation dramatique
qui a stagné au cours de ces dernières années, malgré
les efforts importants entrepris par le ministère de la Santé.
Parmi les «Objectifs de Développement du Millénaire»,
figure l'ambition de réduire la mortalité maternelle de trois
quarts à l'horizon 2015. Cela ne se fera pas tout seul ! A chaque pays,
avec ses spécificités, de se mobiliser et trouver les solutions.
La régionalisation, l'approche intégrée des problèmes
d'accès aux soins pour les femmes rurales en particulier, l'incitation
des médecins à couvrir les régions sous- médicalisées,
la formation du personnel paramédical et sa motivation, ce sont quelques-unes
des multiples voies pour trouver des solutions.
Dans les villes, les problèmes sont différents, car si les compétences
existent, elles sont utilisées de manière très inégale,
faute de prise en charge correcte des soins liés à la grossesse
et l'accouchement, car une erreur fatale pour ces femmes et leurs familles,
est de considérer la grossesse et l'accouchement comme une situation
«normale».
Car dans ce domaine, c'est la prévention qui est le seul moyen d'éviter
le pire. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 15% des grossesses
dites «normales» auront brutalement une complication. Les structures
publiques sont parfois submergées. Seul un suivi régulier et une
prise en charge médicalisée de cette étape importante de
la vie d'une femme pourront améliorer la situation.
Au Maroc, la mortalité maternelle est de227/100 000 naissances
alors qu'elle n'est que de 70 en Tunisie, un pays au même niveau de développement
que le nôtre. Comment expliquez-vous cette différence ?
Ce sont là les chiffres que nous retrouvons dans les statistiques internationales.
Dans le dernier rapport de l'OMS, nous avons trouvé des chiffres concernant
le monde arabe, et les pays en voie de développement : la Mauritanie
par exemple aurait encore plus de morts maternels, avec 1000/ 100 000 naissances
vivantes.
Seules la Jordanie (41 décès maternels pour 100 000), la Tunisie
(70/100 000) ou encore l'Egypte (84/100 000) semblent avoir des résultats
moins dramatiques pour ce qui est de la politique de santé reproductive.
Il faut croire que la place accordée à la santé de la femme
est plus importante dans ces pays !
Il y a sensiblement le même nombre de médecins au Maroc qu'en Tunisie,
pour une population trois fois moindre chez nos voisins et les dépenses
de santé représentent 8,1% du budget de l'Etat tunisien (5% en
2006 au Maroc).
Car il n'y a pas de miracle : il faut une volonté politique forte, un
budget spécifique en fonction des retards accumulés, et un investissement
en formation et motivation des ressources humaines.
Il est impensable qu'il existe à peine quelque 500 sages-femmes dans
notre pays, dont 65 en milieu rural (1). Et parfois elles émigrent en
Europe ou au Canada, car la demande dans ces pays est toujours croissante, et
leur statut est bien meilleur que celui qui leur est offert sous nos cieux.
Notons que c'est aussi le cas pour nos médecins spécialistes.
Votre livre blanc dénonce également la Fédération
Marocaine des Sociétés d'Assurance (FMSAR) qui exclut la prise
en charge de la grossesse et des fausses couches. Selon vous, ce groupe d'assurances
privées a-t-il entendu votre message ?
Oui, nous avons attiré également l'attention des assurances privées
sur cette question.
Le Dr Aziz Soulami a été en charge de faire le point dans le livre
blanc sur les exclusions des assurances dans le domaine de la santé des
femmes marocaines. Il a ainsi relevé les lacunes dans la plupart des
sociétés d'assurance, concernant la couverture des soins spécifiques
à la santé de la femme.
Car pour la femme, c'est de prévention qu'il faut parler, et celle-ci
passe par le dépistage des cancers du col de l'utérus, des mammographies,
des traitements préventifs de certaines maladies des os. Ces soins préventifs
n'étant pas dans la rubrique «sinistre» des assurances, elles
ne les prennent pas en charge.
Il en va de même pour la surveillance médicale de la grossesse
«normale» et de l'accouchement.
Et aussi de la contraception, des fausses couches, du traitement de la stérilité,
etc. Nous pensons que ces exclusions sont discriminatoires envers les femmes
et ne devraient pas être permises, car comme l'a écrit le Dr Mohamed
Yacoubi dans notre livre blanc, ce serait anti-constitutionnel.
Autres structures pointées du doigt par votre rapport, les maisons
d'accouchement réalisées en milieu rural. Que reprochez-vous à
ces établissements sanitaires ?
Nous organisons régulièrement des caravanes médicales bénévoles,
dans le cadre de l'Association des gynécologues privés (AGP).
Lors de nos déplacements pour faire des soins et du dépistage
dans les régions sous- médicalisées de notre pays, nous
avons été frappés par l'existence de ces centres sanitaires,
parfois très bien équipés en matériel sophistiqué,
mais qui ne sert malheureusement pas à grand-chose. Parfois ce sont les
femmes qui ne viennent pas, malgré le dévouement des personnels
de santé affectés dans ces régions dépourvues de
tout. L'accès aux soins signifie que des efforts spécifiques envers
ces populations soient entrepris et qu'une femme qui a une complication puisse
être sauvée avec son bébé.
Cela n'est pas le cas dans une maison d'accouchement où il y a au mieux
une jeune accoucheuse effrayée de ne pas avoir le secours d'un médecin
capable de sauver cette femme par un geste chirurgical par exemple.
Et si le transport peut être d'un grand secours, encore faut-il que toutes
les conditions soient toujours présentes pour éviter les retards,
qui sont hélas trop souvent en cause dans la mortalité maternelle.
Tous les moyens d'évacuation, y compris de la Protection civile, pourraient
être mobilisés. Nous ne sommes pas contre les maisons d'accouchement,
mais nous constatons leur incapacité à juguler la forte mortalité
maternelle. Peut-être faut-il cibler différemment les investissements,
en transport, en personnel intermédiaire pour sensibiliser les familles,
en sages-femmes, et centraliser les soins dans des unités de soin de
niveau élevé.
Peut-être la multiplication des Centres hospitaliers universitaires (CHU)
est une nécessité bien plus urgente qu'on ne le pense, pour former
des spécialistes dans toutes les régions du Maroc. Nous souhaitons
une concertation avec les régions pour adapter les solutions.
Vous dénoncez le fait que des couples se marient encore sans
se référer à un bilan biologique avec les résultats
des examens inscrits dans un document médical obligatoire avant le contrat
de mariage. Aujourd'hui, qu'est-ce que vous conseillez aux futurs époux
?
Comme vous le savez, il est demandé aux futurs couples un « certificat
médical» avant le mariage. De nos jours, il existe un certain nombre
de maladies, telles les hépatites par exemple, certaines anémies,
qui ne donnent pas de signes cliniques perceptibles.
Il faut donc accompagner l'examen clinique de certaines analyses sanguines,
et cela grève encore une fois le budget des citoyennes et des citoyens.
Cela pourrait faire l'objet d'un bilan standardisé obligatoire avant
le mariage, incluant la recherche des infections sexuellement transmissibles
(IST) et la toxoplasmose et rubéole qui seront le premier bilan prénatal
avant toute grossesse.
Pour l'instant, nous conseillons aux futurs époux qui n'ont pas les moyens
de réaliser ces examens, de faire un don de sang, qui leur permet au
moins de connaître leur groupe sanguin et l'absence de maladies sexuellement
transmissibles, tout en contribuant à l'effort de solidarité citoyenne
par ce don de sang.
Le livre blanc demande au législateur et l'autorité de
tutelle de revoir leur copie sur l'Assurance maladie obligatoire (AMO) concernant
le texte sur la médecine préventive chez la femme. Qu'est-ce que
vous reprochez à cette partie de ce texte ?
Cette avancée fondamentale, que connaît notre pays par
la mise en place de l'AMO pour les salariés, est l'objet de notre attention
depuis le début de sa mise en place.
Comme l'a rappelé le Dr Mohamed Hissane dans le livre blanc, le vœu
des gynécologues obstétriciens est la réussite du projet
de l'AMO qui a pour but d'assurer à tous les citoyens une égalité
et une équité face à l'accès aux soins.
Les pathologies qui ont été prévues pour être couvertes
par l'AMO étaient au départ de l'ordre de 14 pathologies chroniques,
puis les négociations avec les syndicats ont permis l'augmentation de
ce nombre pour couvrir 41 maladies, puis enfin la couverture de la mère
et de l'enfant a été incluse, mais nous ne savons pas encore précisément
de quelle manière. Nous souhaitons que tous les médecins du secteur
privé puissent avoir les moyens dans l'exercice d'une médecine
de pointe qui n'aura rien à envier à celles d'autres pays développés.
Les remboursements doivent correspondre aux coûts véritables de
la surveillance correcte des grossesses et des accouchements.
De plus, l'exclusion de la prévention des cancers chez la femme
par exemple, reste une grave lacune. Dira-t-on aux femmes, faites d'abord un
cancer, puis vous serez prises en charge pour «maladie de longue durée»
?
Le Dr Abdeljawad Berranoun en conclusion du livre blanc, en appelle
à la société civile, aux décideurs de tous les secteurs,
et particulièrement à ceux de la santé, et aux corps élus
hommes et femmes, afin qu'ils se penchent incessamment sur ce problème,
d'en saisir la gravité et l'urgence, et de proposer les solutions adéquates
pour assurer à la femme marocaine une couverture médicale digne
du 3e millénaire.
Ce livre blanc propose également la mise à niveau du
cadre légal de l'exercice de la médecine avec un balisage rigoureux.
Quelles sont les décisions urgentes à prendre dans ce sens ?
Il y a effectivement urgence. L'anarchie grandissante dans l'exercice médical
n'est pas une bonne chose pour le devenir de la profession.
La santé publique, les CHU, la médecine militaire et la médecine
privée constituent le cadre légal d'exercice de la médecine.
Le Dr Abdelilah Chenfouri le rappelle dans le livre blanc : «Il est nécessaire
de moderniser et démocratiser le fonctionnement du Conseil de l'Ordre
pour lui permettre de faire respecter l'éthique, la déontologie,
et les lois régissant l'exercice de la médecine dans notre pays,
tout en lui donnant les moyens d'assumer ce rôle».
L'insuffisance démographique médicale est évidente, mais
ne doit pas justifier les structures abusivement créées à
partir de l'article 38 du Code de la mutualité.
Nous appelons également à régionaliser nos structures de
formation et nos principales structures de soins. La multiplication des CHU
et le renforcement de leur rôle dans la santé des citoyens ne peuvent
qu'être bénéfiques.
La médecine privée doit être également soutenue,
car 50 % des médecins du Maroc exercent dans ce secteur, qui est en souffrance
par l'absence de toute mesure d'accompagnement (fisc, AMO, etc.) et qui permettra
d'éviter l'aberration des médecins chômeurs, ou encore des
médecins qui ferment leurs cabinets pour émigrer au moment où
notre pays a besoin de leurs compétences.
(1) (Abdelilah Yaakoubd in «Féminin-Masculin», publication
de la Fondation Friedrich Ebert, 2004)
Propos recueillis par Rachid Tarik
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