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Revue de presse

La réforme du médicament et les lobbys

L'Opinion | Maroc | 01/02/2011

La levée de boucliers des industriels du médicament et de certains syndicats de pharmaciens face à la réforme du médicament proposée par le ministère de la Santé et l’ANAM est scandaleuse. Les lobbys, puisque c’est de cela qu’il s’agit, défendent leur pré carré sans souci de l’intérêt général. Ils utilisent l’invective et la menace pour défendre leurs intérêts financiers, alors qu’il s’agit d’une réforme majeure pour la santé publique au Maroc. La situation en matière de santé publique au Maroc est préoccupante, en particulier lorsqu’on la compare à celle de pays comme la Tunisie, l’Algérie ou l’Egypte.

Une des causes principales de cette situation est la faible consommation de médicaments, qui s’élève à seulement 200 à 300Dh par an et par habitant. Or le prix des médicaments est aujourd’hui le principal frein à l’accès aux médicaments, en particulier dans les zones rurales. Il faut donc absolument réduire le prix effectif des médicaments.

Le ministère aurait pu ouvrir massivement les frontières aux médicaments en provenance de pays à bas coûts comme la Chine et l’Inde, le résultat aurait été spectaculaire car leurs coûts de production sont très faibles. Néanmoins, il existe un tissu industriel local performant que le département de Mme Baddou a souhaité protéger.

C’est pourquoi le ministère à choisi une stratégie consistant à développer le médicament générique, seule à même de concilier les intérêts de tous les acteurs de la santé dans un but d’amélioration de la santé publique: Etat, patients, médecins, pharmaciens et industriels. En effet, avec cette stratégie on fait en sorte que lorsqu’une spécialité existe sous forme générique, exactement équivalente d’un point de vue chimique au médicament de marque, celle ci soit prescrite de préférence au médicament de marque. Ce phénomène est sain car il pousse les laboratoires innovants, le plus souvent occidentaux, à se focaliser sur la recherche de nouveaux médicaments et pas sur la maximisation de leurs rentes issues de vieux médicaments, et permet ainsi de faire baisser les prix.

D’après l’étude du BCG, qui a analysé de manière systématique et extrêmement détaillée l’ensemble des données disponibles, la mise en œuvre de la réforme permettra de faire baisser de 12% le prix effectif des médicaments pour les patients, sans aucune concession concernant la qualité de ceux ci. Les pharmaciens de leur côté augmenteront leur niveau de marge de 2% en moyenne, principalement pour les petites pharmacies rurales. Les industriels fabriquant des princeps verront les prix des médicaments baisser de 14%, mais ils pourront réaliser de grosses économies grâce à l’encadrement de la promotion des médicaments, qui connait de nombreuses dérives aujourd’hui, don de médicaments gratuits, avantages en nature types voyages. Les fabriquant de génériques subiront eux aussi une baisse des prix mais l’augmentation massive des volumes fabriqués leur permettra de réduire leurs coûts de production au delà du niveau de la baisse des prix et donc d’augmenter leurs marges et aussi leur compétitivité, notamment à l’export.

Pourquoi alors des objections de la part des syndicats de pharmaciens et des industriels?
Tout d’abord, il faut préciser que la Fédération nationale des syndicats de pharmaciens ne représente qu’une minorité des pharmaciens marocains, principalement issus des régions les plus favorisées, telles Rabat et Casablanca, 65% des pharmaciens sont installés au rural et n’adhérent à aucun syndicat.

Si l’on fait en sorte de ne pas relever les insultes et les attaques ad hominem, les objections de la fédération semblent bien faibles. Je serais d’ailleurs très curieux de voir comment ils ont fait leurs calculs.

Lorsqu’ils disent qu’on ne peut comparer le Maroc à la Tunisie et à l’Algérie où l’Etat finance plus massivement les dépenses de santé, ils font un grave contre sens. Sous prétexte que ce sont les citoyens qui payent la majorité des médicaments alors ils devraient les payer plus chers ?
Lorsqu’ils critiquent la qualité de la méthodologie employée et parlent de «montages farfelus», c’est oublier la réputation mondiale du BCG et sa réputation de rigueur, qui lui a d’ailleurs valu de travailler il y a 18 mois pour l’AMIP, ceux-là mêmes qui critiquent aujourd’hui le plan génériques.

Lorsqu’ils disent que le rapport ne parle que de sanctions, de contrôle, de responsabilité du pharmacien et de la nécessité de le former, veulent-ils dire qu’il n’est pas nécessaire que les pharmaciens soient présents en officine ? Qu’il n’est pas nécessaire de les former tout au long de leur carrière ? Cela n’est pas très sérieux...

Lorsqu’ils disent enfin que la baisse des prix implique la baisse des marges, là aussi il y a un énorme contresens. La réforme du ministère prévoit effectivement une baisse des prix mais une augmentation de la marge des pharmaciens sur le prix au patient, à tel point que le chiffre d’affaires des pharmacies va augmenter de 2% à consommation constante et de près de 50% si la part de marché des génériques augmente comme prévu. On est donc loin de la fermeture de 80% des pharmacies, qui serait en revanche probable s’il n’y avait pas de réforme.

Je pense qu’il s’agit d’une manipulation des fabriquants de médicaments princeps marocains et étrangers, représentés par deux puissants lobbys, l’AMIP et le MIS, qui ont joué sur les peurs des pharmaciens pour leur faire refuser une réforme qui leur est favorable. Il s’agit pour les industriels de maintenir une situation de rente qui leur permet de réaliser de juteux profits sans efforts, au détriment de la santé des marocains.

Les industriels marocains et étrangers du médicament vont contre le sens de l’histoire qui démontre que les peuples aspirent a l’accès à la sante. Nous sommes face a des lobbys puissants qui veulent accaparer la sante des marocains au profit de leur intérêt personnel. Ce temps est revolu. L’industrie nationale doit passer par une profonde reconfiguration du système mis en place, BCG est un cabinet d’expertise de réputation mondial, la vérité doit être exposée à nos compatriotes, c’est à eux de juger.

Mais je suis confiant dans le fait que l’intérêt général, porté par le ministère, va triompher dans cette triste histoire.

Dr Aït Ahmed Karim, pharmacien d’officine

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