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L'Opinion | Maroc | 21/09/2010
Développée à partir des années 60, cette technique a largement bénéficié des avancées de l'immunologie, de la biologie moléculaire... et a révolutionné la prise en charge d'une grande variété de pathologies jugées incontrôlables. Aujourd4hui en plein essor, elle s'est graduellement affinée et s'apparente dans certains cas à une simple transfusion de cellules sanguines. La greffe de moelle n'est toujours pas en place dans notre pays et le projet d'une telle unité existe cependant dans le service d'hématologie et d'oncologie pédiatrique de l'hôpital 20 Août du CHU Ibn Roch à Casablanca. Le professeur Saïd Benchekroun, chef du service et initiateur de ce programme de greffe de moelle, apporte dans cette interview plusieurs éclaircissements sur le développement de la greffe de cellules souches hématoïtiques dans notre pays. Entretien.
L’Opinion : Qu'est ce que c'est que la greffe de moelle osseuse ?
Pr. Saïd Benchekroun : la greffe de moelle osseuse (GMO) est une technique qui consiste à injecter les cellules souches (capables de régénérer des cellules sanguines normales) à un patient. Il n'y a pas d'acte chirurgical. Il faut rappeler que la moelle osseuse est un organe diffus situé à l'intérieur des os de presque tous le squelette de l'enfant, et localisé essentiellement au niveau des os plats (crâne, sternum, vertèbres, os iliaque…..) chez l'adulte. Elle est capable de se multiplier et se différencier en globules rouges dont la fonction est le transport de l'oxygène dans les tissus, en globules blancs, éléments de défense contre les infections et en plaquettes qui jouent un rôle dans la coagulation. En plus, ces cellules souches hématoïtiques sont dotées d'une capacité dite de «homing» qui leur permet de se loger au niveau de la moelle osseuse même après leur administration dans le torrent circulatoire.
La greffe de la moelle osseuse (GMO) consiste donc à injecter ces cellules souches à un patient. Selon la provenance de ces cellules souches, on distingue différents types de GMO. 1. Les greffes allogéniques ou allogreffes: les cellules souches sont prélevées chez un donneur compatible, en bonne santé, parmi les frères et sœurs du patient (donneur), puis elles sont réinjectées au malade (receveur). Pour que les cellules du donneur soient aussi compatibles que possible avec les cellules du receveur, les éventuels donneurs sont souvent recherchés dans la famille proche du patient (HLA compatibles). Cependant, malgré ces précautions, ce type de greffe peut poser des problèmes de compatibilité entre donneur et receveur, entrainant des accidents de rejet de greffe et de maladie de greffon contre l'hôte. 2- La greffe autologue ou autogreffe: elle consiste à greffer les propres cellules souches du patient, autrement dit le donneur est également le receveur. Il n'ya pas de problème de compatibilité. 3- La greffe de cellules souches périphériques: celles-ci sont identifiées grâce une technique biologique très spécifique. Ce type de greffon est actuellement en vogue du fait de la richesse en cellules permettant un établissement plus rapide de l'hématopoïse (régénération de cellules sanguines normales), telles les cellules du cordon. Le sang du cordon est peu riche en cellules souches. Cette source peut être utilisée en particulier chez l'enfant. 4- La greffe à partir d'un donneur non apparenté: HLA compatible, après recherche dans une banque de moelle osseuse. Les complications d'incompatibilité sont plus fréquentes dans ce type de greffe. 5- La greffe est dite syngénique si le donneur est un jumeau.
Quel que soit son type, une greffe de moelle osseuse ou de cellules souches se déroule en plusieurs étapes : a- La préparation à la greffe et le prélèvement de moelle ou de cellules souches périphériques ; b- Le traitement du prélèvement et sa conservation ; c- La cure de chimiothérapie intensive et/ou de radiothérapie ; d- La greffe proprement dite ; e- L'isolement en secteur stérile ou protégé.
L’Opinion : Comment se déroule le prélèvement des cellules souches de la moelle osseuse ou du sang périphériques ?
Pr. Saïd Benchekroun : Un bilan clinique et biologique est réalisé chez le donneur et le receveur pour rechercher s'il existe une tare ou une contre indication (hépatite viral, HIV….), bilan dentaire, ORL (foyers infectieux..), sanguin, cardiaque, rénale, hépatique et pulmonaire. Le prélèvement des cellules souches de la moelle osseuse peut être réalisé selon deux techniques :
L’Opinion : Comment se fait La réinjection des cellules souches ?
Pr. Saïd Benchekroun : Avant l'injection des cellules souches, il existe une étape fondamentale qui consiste à préparer la prise de greffe sur le plan immunologique. En effet, seuls les enfants ayant un déficit immunitaire combiné sévère sont prêts, du fait de leur maladie, à recevoir directement une greffe. Par contre, tous les autres patients immunologiquement compétents à un degré variable sont susceptibles de rejeter la greffe. C'est ainsi qu'il est nécessaire de les préparer par un traitement immunosupprésseur, afin de fournir un espace au niveau du mico-environnement médullaire du receveur pour le greffon. Ce traitement immunosuppresseur prégreffe est encore appelé traitement de «conditionnement». Il fait appel à une chimiothérapie intensive qui est parfois associée à une irradiation corporelle totale, et utilise des antimitotiques à des doses pouvant atteindre 5 à 10 fois les doses habituelles. Le type de conditionnement doit être adapté à la pathologie. Dans les leucémies, il comporte une chimiothérapie à forte dose associée ou non à une irradiation corporelle totale visant à la fois à obtenir une immunosuppression pour préparer la prise de greffe, mais aussi éradiquer les cellules tumorales. Dans les aplasies médullaires idiopathiques, il est uniquement de type immunosuppressseur puisqu'il n'ya pas de cellules tumorales. Ce type de protocole thérapeutique induit également une aplasie médullaire sévère avec ses conséquences, l'anémie, l'infection et les hémorragies qu'il faut prendre en charge. Après cette étape de conditionnement, la greffe de la moelle osseuse est en général réalisée 48 à 72 heures après la chimiothérapie intensive. Elle est injectée rapidement (30 minutes) par voie centrale (simple cathéter). C'est l'équivalent d'une transfusion sanguine.
L’Opinion : Pourquoi faudra-t-il que le malade soit isolé en chambre stérile ?
Pr. Saïd Benchekroun : Après le traitement de conditionnement, le patient va rentrer en aplasie sévère avec des risques infectieux et hémorragiques majeures d'où la nécessité de l'installer en secteur protégé ou stérile pendant 4 à 6 semaines, le temps que la greffe ait reconstitué la moelle osseuse. L'isolement est donc impératif avec des mesures d'asepsie drastiques. Le maximum de précautions doit être pris pour éviter toute contamination bactérienne ou virale. Le secteur d'isolement est en surpression atmosphérique : la pression de l'air est élevée dans la chambre du patient. De cette façon, la circulation de l’air se fait toujours de la chambre vers l'extérieur. La chambre est individuelle, «stérile», sous flux laminaire ou hotte aspirante destinée à filtrer l'air ambiant pour réduire le risque infectieux au maximum. Avant de rentrer dans la chambre, le malade est douché, revêtu de linge stérile. Les allées et venues du personnel soignant seront limitées et les gestes thérapeutiques groupés. Le personnel ne pourra rentrer dans la chambre qu'après lavage des mains et port de blouse, de gants, de masque et de calotte. Les visites ne sont pas autorisées, sauf à partir d'un couloir de visite (fenêtre en verre hermétique). Les fruits, jus frais, plantes, fleurs sont strictement interdits. Tout objet (linge, livre…) devra être stérilisé avant d'être introduit dans la chambre.
L’Opinion : Quelles sont les indications de la greffe de moelle osseuse ?
Pr. Saïd Benchekroun : Elles sont nombreuses et s'étendent non seulement aux formes résistantes des cancers mais également à de nombreuses affections non malignes, mais mortelles, à plus ou moins brève échéance. Cependant, les risques de mortalité et de morbidité liés à la greffe ne sont pas nuls et doivent être bien pesés. 30% des allogreffés meurent encore essentiellement de rejet du greffon et d'infections opportunistes. Donc la greffe de moelle osseuse, comme traitement, bénéfice de manière certaine aux enfants présentant une aplasie médullaire sévère dont le taux de guérison est supérieur à 60% ; alors qu'en absence de GMO, la mortalité touche plus de 80% des cas. Autres principales indications à la GMO, le déficit immunitaire sévère, une hémoglobinopathie, essentiellement la thalassémie et la drépanocytose sévère, au cours desquelles les malades ne peuvent survivre que grâce à des transfusions itératives et un traitement chélateur du fer à vie avec tout le cortège de complications transfusionnelles. De même que les leucémies de pronostic sévère ou en rechute après un traitement chimiothérapique conventionnelle et certains cancers de mauvais pronostic (neuroblastome, sarcome d'Ewing ou cancers en rechute…). Chez l'adulte, la greffe de la moelle osseuse trouve son application dans la plupart des leucémies aigues en rémission, dans la leucémie myéloïde chronique, dans certains lymphomes malins réfractaires ou en rechute, et dans certains cancers du sein, ou du poumon.
L’Opinion : Quelle est donc l'histoire et quelles sont les perspectives de la GMO de par le monde ?
Pr. Saïd Benchekroun : Sur un plan historique, l'année 1939 peut être considérée comme la date réelle de début. Un patient avait reçu 18ml de moelle par voie Intra veineuse à partir de son frère pour une aplasie médullaire. En 1960, on assista au 1er succès de l'allogreffe avec la reconnaissance du système HLA chez l'homme et le développement des techniques de cryobiologie. En 1968, c’est le 1er succès chez un enfant présentant un déficit immunitaire. A partir des années 70, il y a l'essor de l'allogreffe avec en 1973, à New York, une GMO à partir d'un donneur non apparenté chez un enfant de 5 ans présentant un déficit immunitaire combiné.
En 1980 a été constitué le registre des donneurs qui contient actuellement plus de 3 millions de donneurs volontaires, et ce, dans le but d'augmenter les chances de trouver des donneurs HLA compatibles pour les patients nécessitant une GMO et qui n'ont pas de donneur intrafamilial. En 1986, on a compté 200 centres de greffe de moelle osseuse avec plus de 5000 GMO annuellement. En 1986, on a assisté à la création du National Marrow donor registry. En 1988, la 1ère greffe à partir du sang du cordon riche en cellules souches fut réalisée, à Paris, chez un enfant présentant une maladie de Fanconi et en 1990, la 1ère greffe de cellules souches périphériques a pu être réalisée.
L'évolution selon les pays est variable mais globalement en hausse. Aux USA, il existe 150 centres. En France, la 1ère autogreffe a eu lieu en 1977. Actuellement, il existe plus de 30 centres de greffes répartis dans toutes les villes, Paris, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Nantes… En 1955, 343 équipes européennes ont pratiqué 12 000 GMO dont 68% sont des autogreffes. Tous les pays européens (Italie, Allemagne, Belgique, Grèce, Turquie…) réalisent les GMO.
En Afrique, et au Moyen Orient, le nombre de centres de greffe de moelle osseuse reste limité. En effet, bien que l'acte en lui-même est simple, correspondant à une simple transfusion, il nécessite un environnement médical développé : laboratoire de haute technicité, centre de transfusion sanguine développé, laboratoire de cryobiologie, services annexes (réanimation, radiologie, pneumologie) de haute tenue. On note toutefois que la greffe de moelle osseuse se réalise en Afrique du Sud, en Tunisie (1998), en Algérie (1999), en Egypte, en Arabie Saoudite et au Liban.
L’Opinion : Qu'en est-il au Maroc ?
Pr. Saïd Benchekroun : Au Maroc, il existe tout d'abord une réelle problématique concernant l'hématologie adulte. Le service est situé à l'hôpital du 20 Août à Casablanca et il accueille environ 2000 nouveaux par an. Une proportion variant de 15% à 30% des malades relèvent de la GMO. Par ailleurs, en dehors de l'hématologie, d'autres patients souffrant de cancers variés devraient bénéficier d'autogreffe (Cancer de sein, du poumon, du tube digestif…). La demande est donc très pressante. Qu'est ce qui a été fait jusqu'à présent au Maroc ? Grâce à l'association AGIR (association de soutien aux maladies du sang), 4 chambres stériles ont été construites. Les compétences humaines sont également disponibles, puisque à côté des médecins hématologistes du service, les infirmiers ont reçu une formation pour la GMO, notamment dans des services étrangers.
Par conséquent, la structure existe, le personnel est formé mais il manque la décision politique administrative et centrale pour faire démarrer effectivement la GMO. Par ailleurs, un laboratoire de cryobiologie, d'immunohistochimie, de cytologie et de cytogénétique ont été équipés ces dernières années, ce qui va contribuer largement à l'essor et à un démarrage réel de GMO au Maroc. Tout cela permettra aux malades marocains de se faire greffer au Maroc. Le coût de cette technique est très élevé à l'étranger, en particulier en France où il est de l'ordre de 2 à 3 millions de DH par malade, alors qu'au Maroc on peut la réaliser à des coûts 10 fois moins chers. Et grâce au soutien précieux des rotariens marocains et italiens et celui d'experts italiens dans le domaine de la greffe de la moelle osseuse, cette technique thérapeutique connaitra un nouvel essor dans notre pays.
(*) Chef du service d'hématologie clinique au CHU Ibn Rochd de Casablanca, Président de la Société Marocaine d'Hématologie.
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