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L'Opinion | Maroc | 23/03/2010
L’affaire remonte à 2006, quand la commission sectorielle d’équivalence est saisie d’une demande d’équivalence d’une attestation de formation spécialisée (AFS), délivrée par une faculté française, et ce pour l’ouverture d’un laboratoire d’analyses médicales. La commission a rejeté la demande après avoir constaté que l’attestation ne satisfait pas aux critères requis pour l’équivalence avec un diplôme national.
Après avoir suivi un nouveau cursus toujours non sanctionné par l’obtention d’un diplôme, l’intéressé saisit la commission supérieure d’équivalence qui a émis à son tour un avis de rejet.
Devant cet état de fait, l’intéressé a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Rabat pour annulation de la décision de rejet. Le tribunal va considérer illégal le rejet de la demande d’équivalence par la commission. Cette derrière se devait, selon le tribunal, non pas de rejeter la demande mais d’exiger la satisfaction par l’intéressé à l’une ou plus des conditions prévues à l’article 6 du décret du 21 juin 2001 relatif aux conditions et à la procédure de l’octroi des équivalences de diplômes de l’enseignement supérieur. Le jugement du tribunal administratif a été confirmé en appel.
Selon les biologistes, l’étude de la demande d’équivalence n’a de sens que par rapport à un diplôme et non à une formation non sanctionnée par un diplôme.
Pour la famille des biologistes, ce précèdent est de nature à dévaloriser les décisions de toutes instances officielles qui veillent sur la formation des biologistes et sur la qualité de leurs prestations aux malades. Cette affaire est de nature à remettre en cause également les fondements juridiques d’accès à la profession de biologistes, soutiennent-ils.
Pour sa part, l’intéressé estime la réaction de ces instances professionnelles comme étant déplacée à l’heure où le Maroc invite ses élites intellectuelles formées à l’étranger à mettre leur talent et leur savoir faire au service de leur pays.
Selon la même source, la formation en question est dispensée par la faculté de sciences pharmaceutiques et biologiques de l’université Paris V, et elle est équivalente en tout point avec le DES en biologie médicale français, diplôme reconnu par la commission des équivalences.
L’affaire est aujourd’hui entre les mains de la Cour Suprême, qui devra trancher sur la question.
Ci-après le point de vue des deux parties.
Le professeur Mohamed OMARI, Président du Conseil des Pharmaciens Biologistes:
«Un précédent dangereux pour la profession...»
Question : Vous avez récemment appelé à une réunion générale informative consacrée à l’évolution prise par un dossier d’équivalence. Quel a été l’ordre du jour ?
Réponse : Permettez moi de préciser que cette réunion s’est tenue suite à l’appel du Conseil des Pharmaciens Biologistes, de la Chambre Syndicale des Biologistes et de l’Association Marocaine de Biologie médicale.
L’ordre du jour portait essentiellement sur un jugement rendu par le tribunal administratif de Rabat. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la formation des cadres a rejeté une demande d’équivalence suite aux avis motivés des commissions sectorielles et supérieur d’équivalence ayant conclu au rejet de l’équivalence. Une action en annulation de la décision du Ministère a été intentée devant le tribunal administratif qui a estimé que la commission n’avait pas le droit de rejeter purement et simplement la demande d’équivalence .
Question : Pourquoi cette décision du juge a-t-elle grandement inquiété la profession ?
Réponse: Les instances représentatives de la profession ont estimé qu’il y avait là un précédent dangereux pour la profession. Je tiens tout d’abord à dire que, dans le respect du droit et de la justice, il n’est pas interdit de dire ce que nous pensons d’une décision qui nous interpelle et qui risque d’avoir des retombées négatives sur la profession de biologie médicale et les conditions d’ouverture de laboratoires d’analyses médicales. Le droit et la jurisprudence se nourrissent constamment des commentaires et avis des juristes.
Cette décision nous inquiète parce que sa motivation laisse perplexe pour les raisons suivantes : L’article 5 du décret du 21 juin 2001 relatif aux conditions et à la procédure de l’octroi des équivalences de diplômes de l’enseignement supérieur donne expressément à la commission d’équivalence la possibilité de rejeter la demande quand il est constaté que le diplôme présenté ne satisfait pas aux critères requis pour l’équivalence avec un diplôme national. Comment un tribunal peut-il considérer illégal ce que la loi permet et autorise ?!
Deuxièmement, le tribunal s’est fondé sur une attestation «d’équivalence» délivrée par une structure informelle domiciliée au sein de la faculté de médecine de Casablanca. Comment le tribunal a-t-il pu ignorer que l’autorité gouvernementale chargée de l’enseignement supérieur était légalement seule habilitée à prononcer l’équivalence ...?! Nous ne comprenons pas comment une attestation d’équivalence délivrée par une structure non habilitée a été valorisée au détriment des avis autorisés, de la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat, de la commission d’équivalence composée des doyens des facultés de médecine et de pharmacie de Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech, et de la commission supérieure des équivalences, qui ont tous conclu, à la demande du Ministère, au rejet de l’équivalence !!
Question : Le jugement s’est basé sur l’article 6 du décret qui subordonne l’octroi de l’équivalence à certaines conditions : formation complémentaire, stages etc...
Réponse : L’article 5 donne la possibilité à la commission soit de rejeter la demande (c’est ce qu’elle a légalement fait en l’occurrence), soit de l’accepter, soit d’exiger la satisfaction par le titulaire du diplôme à l’une ou plus des conditions prévues à l’article 6 du décret. Il est donc clair que l’article 6 ne doit trouver à s’appliquer que si la commission d’équivalence opte pour l’option «satisfaction de conditions supplémentaires».L’article 6 n’a pas à s’appliquer en cas de rejet ! On veut bien comprendre pourquoi le tribunal, malgré le rejet légal de la commission, est allé fonder sa décision sur l’article 6. De plus, et dans tous les cas de figure, la commission doit statuer sur la base d’un diplôme qui, en l’occurrence, n’existe pas. Aucun diplôme n’ayant jamais été présenté !
Question : Pourriez vous, précisément, nous préciser quelles sont les conditions d’ouverture d’un laboratoire d’analyses médicales ?
Réponse : La loi 12/01 du 3 octobre 2002 relative aux laboratoires privés d’analyses de biologie médicale mentionne clairement, dans son article 4 alinéa 3, que nul ne peut être admis à ouvrir, exploiter et diriger un laboratoire d’analyses médicales s’il n’est titulaire du diplôme de spécialité médicale (spécialités de biologie) ou du diplôme de spécialité pharmaceutique et biologique (spécialités biologiques) délivré par l’une des facultés marocaines ou d’un diplôme d’une faculté étrangère reconnu équivalent.
Question : Qui est juridiquement habilité à prononcer une équivalence ?
Réponse : Les équivalences sont prononcées par arrêté de l’autorité gouvernementale chargée de l’enseignement supérieur, après avis de la commission sectorielle ou de la commission supérieure des équivalences. Permettez- moi de rappeler que les commissions sectorielles d’équivalences de diplômes comprennent chacune des doyens ou directeurs d’établissements d’enseignement supérieur public relevant des universités et des départements ministériels concernés, des représentants de l’autorité gouvernementale précitée et, le cas échéant, un représentant de l’ordre professionnel concerné.
Dans ces conditions, le juge n’a pas à substituer sa décision à celle des commissions et de l’autorité gouvernementale chargée de l’enseignement supérieur. Il peut par exemple vérifier si la composition, les compétences et les modalités de fonctionnement des commissions sectorielles sont conformes au droit et à la législation en vigueur. Là doit juridiquement se limiter le rôle du juge. Aller au delà, c’est vider de son sens le rôle des commissions d’équivalence et remettre en cause les pouvoirs conférés à l’autorité gouvernementale en la matière !
Question : Comment voyez-vous l’évolution de ce dossier après ce jugement confirmé en appel ?
Réponse : Sur le plan juridique, le Ministère de l’enseignement supérieur dispose légalement de la possibilité de se pourvoir en cassation auprès de la Cour Suprême. Les instances représentatives de la profession disposent également de voies de recours judiciaires qu’elles ne manqueront pas d’exercer. Nous gardons espoir que le Cour Suprême, gardienne de la bonne application de la loi, replace ce dossier sur le terrain d’une saine et plus juste application de la législation en vigueur.
Nous resterons par ailleurs mobilisés pour que la profession de biologiste ne soit pas menacée dans ses nobles et délicates missions. Une profession aussi sensible et vitale pour la santé et la sécurité des citoyens.
Question : Concrètement le jugement a été confirmé et doit être exécuté...
Réponse : Je viens de préciser que des voies de recours existent. De plus, le jugement n’a pas et ne pouvait pas donner d’équivalence ni enjoindre le département de l’enseignement supérieur de le faire... Le jugement a considéré que la commission ne devait pas rejeter purement et simplement la demande d’équivalence... La commission doit donc se réunir à nouveau pour formuler un nouvel avis et exiger, outre les conditions prévues à l’article 6 du décret, un diplôme. D’abord parce que l’article 5 du décret fait état de la satisfaction par le titulaire du diplôme à l’une ou plus des conditions prévues à l’article 6 et ensuite parce qu’aucune ouverture de laboratoire d’analyses médicales n’est permise et ne peut être autorisée sans diplôme.
Le Collectif des Biologistes Marocains de l’Université de Paris V : « Notre formation est équivalente au DES de Biologie Médicale français »
Voici le point de vue des biologistes concernés par la décision de rejet de l’équivalence :
« Le collectif des biologistes issus de l’Université Paris V tient à faire valoir son droit de réponse au Conseil de l’Ordre, syndicat des biologistes de Casablanca et Association Marocaine de Biologie Médicale.
Ces instances professionnelles, tenues pourtant par un code de déontologie, ont alerté l’ensemble de la profession sur un jugement de la Cour Administrative d’Appel de Rabat en date du 27 janvier 2010 qu’ils qualifient de « précédent dangereux ».
Nous tenons à souligner le caractère scandaleux de la démarche de ces instances professionnelles qui entendent faire fi d’une décision de justice, confirmée en appel, devenue définitive, posée en force de chose jugée et rendue exécutoire à la suite de la condamnation par cette Cour d’une décision de la commission sectorielle d’équivalences de diplômes.
Nous sommes scandalisés (…) à l’heure où notre pays redouble d’efforts pour mener nos Institutions vers la voie de la démocratie, notion indissociable de celle de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice.
Cet acharnement n’a qu’un seul but: créer un sentiment de psychose dans l’esprit de nos concitoyens, en insinuant que la formation que nous avons reçue ne présente pas toutes les garanties nécessaires pour nous permettre d’ouvrir des laboratoires d’analyses médicales.
Nous tenons à préciser à ce stade que la formation en question, pour laquelle nous avons sollicité une équivalence avec le diplôme marocain, est dispensée par la Faculté de Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de l’Université Paris V - René Descartes, à l’issue de quatre années d’enseignement.
Les doyens de cette université parisienne de renom (le Professeur Durand ainsi que le Professeur Aiach), ont attesté que cette formation était équivalente en tout point avec le DES de Biologie Médicale français, diplôme reconnu par la Commission des équivalences. Ils ont été rejoints par la directrice du collège de spécialité de biologie médicale de l’université Hassan II-Aïn Chok qui a affirmé que le contenu et la durée de notre formation étaient équivalents à la formation qu’elle dispensait aux étudiants de son Université.
Pourtant, malgré les prises de positions de ces éminents Professeurs et malgré deux condamnations en justice, ces instances se bornent à dénigrer notre formation au prétexte fallacieux que celle-ci ne serait pas intitulée « Diplôme ».
Cet attachement pernicieux à la dénomination de l’intitulé de notre formation est particulièrement choquant dès lors qu’il est établi que ces instances délivrent, sans contestation aucune, des équivalences entre le diplôme marocain et de simples Certificats délivrés par les Universités de Dakar et de Moscou. Plus surprenant encore, les certificats en question sont délivrés par ces Universités au bout d’une formation dont la durée est inférieure aux quatre années exigées par cette même commission.
Actuellement, plusieurs d’entre nous exercent la profession de Biologie Médicale dans les meilleurs hôpitaux parisiens tout en étant inscrit à l’Ordre National des Pharmaciens et Médecins Biologistes Français. L’obstination de ces instances professionnelles dans leur refus illégal et injustifié de nous accorder une équivalence avec le diplôme marocain nous prive de la possibilité d’exercer notre métier dans notre pays, le Maroc. Cela est particulièrement incompréhensible à l’heure où le Maroc invite ses élites intellectuelles formées à l’étranger à mettre leur talent et leur savoir-faire au service de leur pays ».
Collectif des Biologistes Marocains issus de l’Université Paris V
Karima Cherkaoui
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