C'est une tragédie tout à fait évitable. Nous avons les moyens d'éviter la quasi totalité de ces infections et de faire en sorte que les mères séropositives reçoivent le traitement, les soins et le soutien dont elles ont besoin», a déclaré Othman Mellouk, chargé des relations internationales de l'ALCS et co-auteur du rapport. 200 nouveaux-nés marocains sont donc condamnés chaque année à porter durant toute la vie le VIH/Sida avec tout ce que cela implique en terme de coût élevé de prise en charge.

Diagnostic tardif

La situation est d'autant plus dangereuse que de nombreuses mamans découvrent leur séropositivité après l'accouchement. Les statistiques disponibles montrent dans ce sens que la majorité des femmes enceintes ne bénéficient pas d'une prise en charge adéquate. Au fait, seulement 68% des femmes marocaines ont accès à au moins un examen prénatal pendant la grossesse, et seulement 63% des naissances sont assistées par des professionnels de santé. Pire encore. Les femmes marocaines portent de plus en plus le fardeau du VIH. Elles représentent aujourd'hui 38% des cas de sida, une augmentation spectaculaire par rapport à 1990 où elles ne représentaient que 19%. Pour leur part, les femmes mariées ne sont pas épargnées. En effet, les études sur les Infections sexuellement transmissibles (IST) montrent que c'est surtout le comportement sexuel des maris qui expose les femmes marocaines et, ultérieurement, leur nouveau-né au risque de l'infection par le VIH.

Le Maroc dispose certes d'un programme pour prévenir la transmission verticale (de la mère à l'enfant) du VIH, mais ce dernier n'atteint que trop peu de mères et de nouveau-nés, entraînant chaque année des centaines d'infections à VIH qui sont évitables. Il est vrai que le Royaume a réalisé durant la dernière décennie de grands progrès dans le développement des systèmes de soins, de traitement et de soutien des personnes vivant avec le VIH, y compris la mise à disponibilité de la trithérapie, qui a fait pratiquement disparaître la transmission verticale du VIH dans la plupart des pays occidentaux. Cependant, bien peu de femmes enceintes séropositives au Maroc sont en mesure d'accéder à cette thérapie, en partie parce que les efforts de dépistage précoce des personnes séropositives ne touchent pas les femmes enceintes. «Les femmes portent seules le fardeau de la prévention de la transmission verticale et le résultat d'un éventuel test positif au VIH... Les maris sont rarement, voire jamais impliqués», affirme Nadia Rafif, co-auteur du rapport.

Elle ajoute : «Nous devons travailler davantage pour faire en sorte que les femmes séropositives aient le soutien nécessaire de leurs maris, de leurs familles et de leurs communautés». Aujourd'hui, une chose paraît sure. Les femmes séropositives enceintes et leurs bébés passent encore à travers les mailles du filet. Une situation due selon les auteurs du rapport à de nombreux écueils.

Obstacles

Baptisée « Mères et enfants, parents pauvres de la prévention», le rapport qui a été réalisé en collaboration avec la Coalition internationale pour la préparation aux traitements (ITPC) à la suite à une recherche effectuée sur le terrain en 2009, point du doigt plusieurs obstacles. Il en ressort en effet que les responsables ne considèrent toujours pas pratique ni rentable de recommander le dépistage du VIH pour toutes les femmes enceintes et il demeure difficile d'identifier les femmes à risque vu que c'est souvent le comportement sexuel de leur mari qui les expose au risque de l'infection. De même, plus d'un tiers des femmes marocaines sont analphabètes et ne peuvent donc obtenir des informations sur le VIH dans les brochures, les affiches et la presse écrite. L'accès des campagnes de prévention à la télévision et la radio reste limité.

QUESTIONS À : Dr Othman Mellouk

Chargé des relations internationales à l'ALCS«On a tendance à croire que le mariage peut être une protection contre le sida»

Comment expliquer que certaines femmes contractent le virus dans le cadre du mariage ?

On a tendance à croire que le mariage peut être une protection contre le sida. Ça peut être vrai mais à deux conditions : Que les deux époux fassent un teste de dépistage avant de commencer à avoir des relations sexuelles non protégées par un préservatif. Et qu'ils soient fidèles mutuellement. Ces conditions ne sont pas toujours remplies, dans la mesure où de nos jours beaucoup de personnes ont des relations sexuelles avant le mariage, les marocains n'ont pas suffisamment recours au test de dépistage, et il existe des gens qui même mariés, ont des relations extraconjugales. Comme les chiffres le montrent, 3/4 des femmes atteintes de sida au Maroc ont eu une expérience de mariage (sont soit mariées, soit divorcées soit veuves). Ce n'est pas le caractère «légitime» ou «illégitime» d'une relation sexuelle qui protège du sida. Mais c'est le fait d'avoir des relations sexuelles «non protégée» avec une personne dont on ne connaît pas le statut sérologique qui expose au risque d'infection. Si les gens sont bien informés, même en cas de relation extraconjugale, ils vont se protéger et protéger leur partenaire.

Repères

Inaccessibilité

Bien que le ministère de la Santé conseille que les femmes séropositives ne doivent pas allaiter leurs bébés, plus de 40% des habitants des zones rurales n'ont pas accès à l'eau potable et le lait artificiel n'est pas toujours disponible gratuitement pour ces femmes dans toutes les villes.

Seuls quatre sites dans l'offre de services de santé de la mère et de l'enfant offrent conseil et dépistage du VIH aux femmes enceintes à travers le pays. La peur de la stigmatisation empêche de nombreuses femmes d'effectuer le test.

Par Mohamed Badrane