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Revue de presse

Youssef Zied Elhechmi, Professeur agrégé en Médecine Intensive Réanimation, à La Presse : « Le burn out n’est pas encore traité comme maladie professionnelle »

La presse | Tunisie | 26/09/2022

Dans le secteur de l’éducation, le phénomène d’absentéisme est d’autant plus préoccupant que les congés maladie des enseignants pèsent sur la performance du système éducatif dans son ensemble. Tous les jours, devant les établissements éducatifs, que ce soit primaires ou secondaires, on trouve les parents d’élèves se plaignant des absences des enseignants. Certes, les chiffres élevés annoncés chaque année provoquent la colère et l’incompréhension des parents, mais de l’autre côté, il faut aussi essayer de comprendre pourquoi ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, et que faire pour le réduire ? Youssef Zied Elhechmi, professeur agrégé en médecine intensive réanimation et co-fondateur de la start-up Hope Horizon, nous en dit plus dans cet entretien.

Le chiffre de 4.000 certificats de maladie par an pour les enseignants a rapidement fait le tour sur la toile. Tout d’abord, peut-on dire que ce chiffre est choquant, ou au contraire, il est négligeable sur les 150.000 enseignants qui exercent dans les quatre coins du pays ?

Suite à l’annonce faite par le ministère de l’Education concernant les 4.000 congés maladie dans le secteur de l’éducation nationale, survenus au cours de l’année scolaire écoulée, on est en droit de se poser plusieurs questions que nous estimons être légitimes. En premier lieu, le chiffre de 4.000 congés maladie ne reflète pas fidèlement la réalité de la situation et manque de précision, car on ne mesure pas les congés en nombre absolu uniquement, mais surtout, et ce qui est plus pertinent, en nombre de jours de travail perdus. A cet égard, 4.000 congés peuvent correspondre à 4.000 jours comme ils peuvent correspondre à des centaines de milliers de jours de travail, ce qui n’a pas du tout le même impact.

Le second point important à préciser avant de pouvoir émettre un jugement objectif est en rapport avec les causes de ces congés. Nous savons qu’il existe principalement des causes psychiatriques, les affections de l’appareil locomoteur, et les affections respiratoires et ORL. A cet égard, connaître la part de chacune de ces causes et de bien d’autres permettra d’avoir un tableau plus clair et plus objectif de la situation avant de pouvoir entamer les réformes qui s’avéreront nécessaire pour y remédier de manière juste et équitable. Ce n’est, par ailleurs, qu’en répondant à ces deux questions qu’on pourra comparer nos statistiques avec d’autres pays et voir si notre situation est similaire ou non, étant donné que ces données sont primordiales pour définir des actions de prévention efficaces.

Selon votre expérience, quelles sont les raisons derrière ce phénomène qui va en s’accroissant ?

Ce qu’il faut savoir maintenant, en émettant le postulat qu’une part importante des enseignants ayant pris des congés maladie sont d’origine psychiatrique, c’est que les enseignants, de par le monde, souffrent souvent de ce que nous appelons en médecine le burn out syndrome. Il s’agit d’une maladie professionnelle qui reflète un état d’épuisement moral et physique important. Cette maladie n’est pas encore traitée comme maladie professionnelle par l’Etat tunisien, mais ses conséquences sont pourtant graves, aussi bien sur le processus d’apprentissage et d’éducation que sur la vie familiale des personnes atteintes.

Nous pensons qu’en Tunisie, l’épuisement professionnel des enseignants pourrait provenir au moins en partie de difficultés à gérer les élèves ; des élèves tunisiens dont l’état d’agitation est devenu souvent élevé, et dont le degré de réceptivité est bas. Ce point que nous évoquons ici est aussi crucial, car il nous permettra d’établir un diagnostic précis du mal dont souffre le système éducatif et, par conséquent, de le traiter et de le réformer de manière correcte et adaptée.

Les deux symptômes du mal qui rongent le système éducatif, ce qui pourrait expliquer les 4.000 congés maladie que nous avons évoqués, sont, en fait, d’après nous, le reflet d’un même mal. Ce mal débute par le surmenage des jeunes élèves par une masse éducative très en dessus des normes, par la surcharge des devoirs à faire à la maison, qui empiètent non seulement sur la vie de l’enfant et de l’adolescent, mais aussi souvent sur la vie familiale en totalité.

L’état d’agitation des élèves pourrait dans ce contexte refléter un état dépressif et/ou un état d’épuisement, ce qui est un diagnostic très grave, surtout s’il survient au jeune âge. Cela entraîne bien sûr des problèmes cognitifs importants et une baisse significative de l’habileté à apprendre, outre le retentissement sur la personnalité de l’enfant qui aura des conséquences pour toute sa vie. C’est cet état qui va retentir, comme un serpent qui se mord la queue, sur l’état psychologique des enseignants, créant un sentiment de démotivation qui va se transformer rapidement en épuisement professionnel et en congé maladie.

Dans ce même cadre, qu’est-ce que vous proposez et quelles mesures à mettre en place pour réduire ce phénomène ?

Au vu de ces données, il est clair que la réforme du système éducatif tunisien doit être menée avec courage, détermination et de manière globale. En tenant compte des vraies raisons de l’échec exposées ci-dessus, on peut facilement conclure qu’une réforme qui réduit la charge de travail, le nombre d’heures de cours, qui interdit les devoirs à domicile pour les plus jeunes, qui s’oriente vers l’acquisition de compétences par les élèves au lieu de l’apprentissage d’information de bas niveau pédagogique, permettra en premier de retrouver aussi bien l’épanouissement des élèves, que des enseignants, ainsi que de retrouver une vie familiale saine pour ces deux acteurs primordiaux de l’avenir de la nation.

Nous estimons, aujourd’hui, qu’il faut mettre un terme définitif au système actuel et que la réforme axée sur l’épanouissement et le bien-être doit être instaurée dès la prochaine rentrée scolaire, en veillant à mettre au point des indices de contrôle et de surveillance des effets de la réforme sur les acteurs principaux de l’éducation élèves-enseignants-parents.

D’ailleurs, la réalité sur terrain reflète l’échec de ce système dans son ensemble. Dans les pays en développement comme le nôtre, même après plusieurs années de scolarité, on constate l’absence de maîtrise des bases de la lecture, de l’écriture et du calcul. Et avec un ascenseur social en panne et un contexte économique fragilisé par une série de crises (sociales, politiques et récemment sanitaire), cette situation semble, aujourd’hui, connaître son apogée et devenir de plus en plus manifeste… D’un jour à l’autre, on ne cesse de constater une altération des acquis de la Tunisie, puisque le taux d’analphabétisme a augmenté pour la première fois dans notre pays depuis l’Indépendance.

Entre forces et faiblesses, que reste-t-il de notre système éducatif ?

En Tunisie, au niveau du budget de l’Etat et des familles, il existe toujours une grande importance accordée à l’éducation, malgré la détérioration de la performance du système éducatif dans son ensemble. Et en général, les jeunes Tunisiens sont toujours ouverts sur les cultures, les langues étrangères et sur les nouvelles technologies. Mais malheureusement, la liste des faiblesses identifiées est nettement plus longue que celle des forces. En tête de liste figure la prédominance de l’aspect quantitatif dans le contenu de la formation et l’évaluation des acquis à l’heure où il faut arrêter d’injecter machinalement les informations dans la tête des enfants. On cite, également, l’absence d’une approche systémique dans la perception, conception et évaluation du système éducatif, outre le dérèglement du système (l’explosion des cours particuliers à titre d’exemple…).

Mais les maux du système éducatif ne s’arrêtent pas là : il y a aussi le manque de valorisation de la formation professionnelle et la faiblesse de la qualité de l’apprentissage ; il y a également la présence marquée des syndicats professionnels face à l’absence regrettable des associations des parents, les disparités des performances (quantitatives et qualitatives) au niveau régional, entre les secteurs, public et privé, la défaillance chronique de l’infrastructure dans un grand nombre d’établissements… C’est pour toutes ces raisons et autres qu’il faut passer immédiatement à l’action et entamer les réformes nécessaires. Il est temps de faire participer toutes les parties prenantes et concernées par le métier de l’enseignant pour connaître le degré de difficulté qu’il peut percevoir et qu’il peut rencontrer pour garantir et assurer l’accès des enfants à un apprentissage de qualité.

Meriem KHDIMALLAH

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