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Revue de presse

Corps médical contaminé, manque flagrant de moyens… : Est-ce le début d’une contamination à grande échelle ?

La presse | Tunisie | 15/09/2020

Dans cette guerre contre le coronavirus et à l’heure où on enregistre une explosion du nombre de cas de contamination, l’Etat semble avoir oublié la protection de ses soldats en première ligne. Aujourd’hui, la propagation de l’épidémie n’épargne pas les agents de santé qui sont sans matériel de travail, ni équipements de protection individuelle. A qui la faute ?

Depuis quelques jours, la situation n’est plus rassurante en Tunisie et les chiffres sont devenus de plus en plus inquiétants. Le ministère de la Santé a annoncé que l’épidémie de coronavirus gagne désormais le corps médical. A la date du 09 septembre 2020, pas moins de 265 cadres médicaux et paramédicaux ont été testés positifs au Covid-19. Pis encore, le samedi 12 septembre, le pays a annoncé le décès du premier médecin, après qu’il a été infecté par le nouveau coronavirus.

Épuisement, manque de moyens

Le président de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (Otjm), Jed Henchiri, indique, dans une déclaration accordée à La Presse, que depuis plusieurs semaines, le corps médical dénonce le manque de moyens humains et matériels dans sa lutte contre le coronavirus. « Les services sont surchargés. Les malades continuent à affluer au quotidien…Avec la fatigue, le manque de moyens humains, matériels, financiers, avec le manque de temps…la situation n’est plus rassurante et devient de plus en plus compliquée. A titre d’exemple, le service d’aide médicale urgente (SAMU 1) de Tunis, qui se trouve derrière l’hôpital de La Rabta, souffre de ce manque flagrant de moyens. Sur les 60 lignes téléphoniques qui existent, deux seulement sont en service car on n’a pas assez de personnel pour s’occuper de ces lignes. C’est pour cela qu’on constate un problème au niveau de la joignabilité du 190. Pis encore, dans cette situation de crise, en plus des urgences communes, comme les accidents de la route ou les arrêts cardiaques, les équipes du SAMU ont été chargées par le ministère de la Santé d’effectuer les prélèvements sur les personnes soupçonnées d’être porteuses du coronavirus. Donc, on se retrouve à faire dix tâches en plus de notre mission de soins, à passer des heures au téléphone, à essayer de trouver un lit de réanimation pour un patient atteint du Covid-19 parce qu’il n’y a plus de place nulle part… », explique-t-il.
Henchiri affirme, sur un autre plan, que le ministère de la Santé a annoncé que les hôpitaux publics disposent de près de 460 lits de réanimation mais qui ne sont pas destinés aux malades du Covid-19, mais à tout le monde et à tous les malades. Donc, ce chiffre est erroné et ne reflète pas la réalité de la situation. Le plus surprenant, selon lui, est que les circuits Covid-19, qui ont été mis en place pour prendre en charge les patients présentant des symptômes du virus, ont été enlevés et utilisés à d’autres fins. « Il suffit de faire une simple visite à l’hôpital La Rabta à Tunis pour découvrir qu’il n’y a pas de circuit Covid-19 ! On ne comprend pas les raisons de cette décision. D’où est-elle venue ? A qui la responsabilité ? Qui va assumer les résultats ? Si la situation empire, il faudra s’attendre à ce que les malades du Covid-19 soient placés dans de grandes salles avec d’autres patients », regrette-t-il.

Chiffre sous-estimé

Revenant sur le chiffre annoncé par le ministère de la Santé, selon lequel 265 cadres médicaux et paramédicaux ont été contaminés au coronavirus, Jed Henchiri affirme que ce chiffre est sous-estimé et que les inquiétudes sur le risque d’une contamination ‘’à grande échelle’’ du corps médical et paramédical ne manquent pas et ne sont pas exclues. « L’agent de santé est en voie de devenir un puissant vecteur de transmission du virus. Il est en première ligne pour prendre en charge les malades. Il est plus proche des gens qui sont vulnérables dans les services de réanimation, de cardiologie, de pathologie, de néonatologie… Il contacte beaucoup de gens au cours de la consultation, dans les urgences, au cours de l’intervention… Il contacte des dizaines de gens par jour… A cet effet, le taux de contamination sera très large, sans qu’il soit possible d’établir un décompte exact…Le constat est donc décevant : à l’heure où la propagation du coronavirus gagne du terrain et n’épargne pas les agents de santé, le manque de moyens continue de peser sur les personnes atteintes de coronavirus et à durer, mettant leur vie en danger », explique-t-il.

Il ajoute que le personnel médical et paramédical contaminé ne bénéfice d’aucun avantage ; les analyses se sont faites d’une manière ordinaire, sans accélération, sans mesures exceptionnelles et peuvent prendre entre deux et cinq jours pour obtenir les résultats. « L’analyse ne se fait que lorsque la personne présente des symptômes. Même lorsqu’il contacte un malade testé positif et porteur du virus, on ne le fait pas. De cette manière, on ne va pas détecter les porteurs sains et un personnel soignant infecté va contaminer ses collègues. Ce qui fait que les chiffres annoncés sont sous-estimés. Et avec l’approche de la grippe saisonnière et du froid, la situation sera de plus en plus compliquée », souligne-t-il.

Toujours sans salaire

Le président de l’Otjm dénonce, sur un autre plan, les manquements du ministère de la Santé en ce qui concerne la régularisation de la situation des jeunes médecins. Dans le cadre d’un contrat de prestations de service, le ministère de la Santé a fait appel à toutes les ressources humaines médicales disponibles afin de faire face à la crise sanitaire. Plus de 130 jeunes médecins ont été envoyés pour être en première ligne de la crise sanitaire, sans protection adéquate, sans arsenal et sans contrepartie. « Cela fait six mois que les médecins recrutés n’ont pas été payés. Certains ont déjà démissionné, alors que d’autres se trouvent obligés de continuer leur mission car ils se trouvent souvent dans des situations particulièrement difficiles qui les obligent à continuer leur travail malgré un contexte défavorable. De ce fait, ils ne peuvent pas donc abandonner leur poste », affirme-t-il.

A qui la faute ?

Pour sa part, le secrétaire général de l’Union populaire républicaine (UPR), Lotfi Mraihi, a sévèrement critiqué la gestion de la crise sanitaire liée au coronavirus en Tunisie. Pour lui, cette mauvaise gestion a couté à l’Etat 42 milliards de dinars, soit l’équivalent du budget de l’Etat et le tiers du PNB tunisien, avec des retombées qui seront visibles les années à venir et qui pourraient se chiffrer à des dizaines de milliards de dinars. « Le pays a échoué sur le plan économique, celui de l’éducation, de la santé publique, du transport en commun…et dans tous les services publics. A tout cela, s’ajoute la gestion de la crise sanitaire par l’Etat qui est un échec absolu… Le confinement général aurait dû être levé plus tôt que prévu, alors qu’il a duré au-delà du nécessaire avec au moins deux mois supplémentaires, ce qui va nous coûter trop cher. Aujourd’hui, c’est au citoyen de payer l’échec de la stratégie sanitaire », souligne-t-il, tout en appelant à créer une commission d’enquête nationale pour investiguer et évaluer cette gestion et sanctionner par la suite les gens responsables des dépassements commis dans cette gestion.

Sur un autre plan, Mraihi rappelle encore une fois que le principe de l’immunité collective est une réalité et que la Tunisie est actuellement en train de l’appliquer d’une façon ou d’une autre. Il ajoute qu’on voit bien à travers le monde que les patients âgés sont plus touchés et que les jeunes développent le plus souvent des formes mineures du coronavirus. « Les enfants ont été empêchés de terminer leur scolarité, alors que plusieurs études montrent qu’ils sont très peu porteurs du virus à l’exception de ceux qui sont malades. Dans le monde entier, deux décès liés au coronavirus (un à Paris et l’autre à New York) ont été enregistrés dans les rangs des enfants. Maintenant, à la veille de la rentrée scolaire, se posent des questions sur leur retour…Il ne faut pas effrayer les parents et il n’y a aucune raison pour qu’un enfant de moins de 15 ans porte une bavette : l’étude de Shanghai a montré que le taux était de moins de 1% de portage de virus. Les jeunes adultes sont aussi des porteurs sains et donc il n’y a pas de raison pour porter le masque. Par contre, on doit demander aux personnes âgées, qui ont des pathologies et qui sont exposées aux risques, de rester chez elles, de porter le masque et de respecter le protocole sanitaire…Heureusement que sur le plan humain, on a été préservé, (comme tous les pays d’Afrique et il n’y a aucun mérite), parce que nous sommes une population jeune, mais avec un système de santé mauvais », explique-t-il.

Il affirme, également, que le pays attend des jours plus durs : le futur proche sera catastrophique puisque le pays va demander encore des crédits, et très probablement il va demander un rééchelonnement de la dette, ce qui sera une première pour la Tunisie. On continue toujours de vivre dans un marasme général au niveau de l’activité économique, avec la perte du pouvoir d’achat, le choc de la demande et de l’offre, une croissance en berne, des répercussions qui vont perdurer encore des années…

Meriem KHDIMALLAH

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