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Revue de presse

Pénurie de médicaments : le mal dépasse la Pharmacie centrale

La presse | Tunisie | 09/11/2017

Quand on évoque le risque de pénurie de certains médicaments dans notre pays, on pointe systématiquement un doigt accusateur vers la Pharmacie Centrale de Tunisie (PCT). Mais les maux du secteur sont multiples et dépassent cette structure. C’est tout un secteur informel qui se profile en raison de la mauvaise gestion et le trafic de médicaments qui coûtent à l’Etat 4 milliards de dinars selon Chawki Tabib, président de l’Inlucc. Un CMR, présidé par le chef du gouvernement, a été consacré à la PCT, lundi dernier.

Le déficit des caisses sociales ne peut à lui seul expliquer les difficultés auxquelles la Pharmacie Centrale est actuellement confrontée, selon M.Kamel Idir, expert de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ancien directeur de la direction de la pharmacie et du médicament (DPM). Les défaillances actuelles sont surtout d’ordre structurel, souligne-il. D’un côté Il y a une instabilité au niveau du premier responsable à la tête du ministère de tutelle et d’un autre côté, il y a eu affaiblissement ces dernières années de la DPM, qualifiée de poumon de la pharmacie et du médicament.

Où est passé l’Observatoire du médicament ?

L’expert en question évoque, dans le même contexte, les consignes rigoureuses qui apparaissent dans la circulaire n° 78/2008 du 29 août 2008, relative aux stocks stratégiques des médicaments. Il y a tout d’abord cette obligation d’assurer un stock stratégique au niveau de la PCT pour une période de trois mois au minimum, pour les médicaments, la matière première et les produits semi-finis utilisés pour la fabrication des médicaments. Pour les maladies chroniques, il faut assurer le stock d’un mois, confirme M.Idir .Oui mais où est passé l’observatoire du médicament relevant de la DPM, qui se réunissait le premier mercredi de chaque mois et qui jouait un rôle décisif au niveau de l’anticipation des risques de pénurie ? s’interroge-t-il.
Les réunions mensuelles de l’Observatoire se tenaient, ajoute-t-il, en présence des intervenants de la fabrication, de l’importation et de la distribution (la Pharmacie centrale, la chambre des grossistes répartiteurs, le Conseil de l’ordre des pharmaciens, les parties syndicales, la DPM, l’inspection …) dans le but d’établir l’état des lieux, ce qui permettait d’anticiper en temps réel les manques des produits et contourner les perturbations. Un rapport dans les 24 h qui suivent est relevé au ministre de la Santé pour avoir une idée sur l’évolution de l’approvisionnement en médicaments du pays . C’est l’une des composantes de la santé publique.

Une Agence nationale du médicament

« Quand on évoque les raisons de la situation difficile de la PCT, on est en droit de citer la succession de plusieurs ministres à la tête du ministère de la Santé dans un laps de temps très court, ce qui n’est pas de nature à assurer la stabilité et la mise en œuvre des plans de travail ou de stratégies même à court ou moyen terme », observe notre expert. Les conséquences sont là, la DPM a subi de plein fouet les répercussions négatives de cette instabilité et n’a pas eu beaucoup de soutien au niveau de la prise de certaines décisions afin de mieux répondre aux besoins du secteur.

M.Kamel Idir a souhaité la mise en place d’une agence nationale du médicament réunissant tous les intervenants. Cette proposition, explique-t-il, a été sollicitée lors du démarrage du dialogue engagé par le gouvernement public-privé depuis plus de deux ans, impliquant tous les intervenants du secteur : les ministères de la Santé, des Affaires sociales, du Commerce, de l’Industrie, ainsi que les acteurs principaux, à savoir la Chambre Nationale de l’Industrie Pharmaceutique (CNIP) , le Syndicat des Entreprises Pharmaceutiques Innovantes de Recherche (SEPHIRE) qui représentent les laboratoires exportateurs vers la Tunisie .Il y a eu plusieurs séminaires autour de ces structures pour se pencher sur les moyens de renforcer l’industrie pharmaceutique et booster sa compétitivité.

Le cercle vicieux de la dette des caisses sociales

« L’industrie pharmaceutique est un secteur qui a une croissance à deux chiffres depuis les années 90, fait-il remarquer, mais les menaces qui se profilent sont énormes. La dépréciation du dinar se répercute directement sur les importations de la pharmacie centrale. Au-delà des dettes des caisses sociales et des dettes des hôpitaux, la Pharmacie centrale a 100 millions de dinars d’auto-compensation imposés parce que les prix sont homologués et fixés par l’Etat. Le déficit de la Pharmacie centrale est évalué entre 600 et 700 MD outre les 100 millions de dinars d’auto-compensation. Ce déficit s’explique aussi par la situation financière difficile par laquelle passent les caisses sociales (Cnss, Cnrps, Cnam). On est entré dans un cercle vicieux. A ceci s’ajoutent le vol et la contrebande à grande échelle. Aujourd’hui une révision de tout le système s’avère inéluctable », conclut M.Idir.

Les problèmes la Pharmacie centrale sont la conséquence directe des problèmes observés au niveau des caisses sociales (Cnss et Cnrps) et qui ont impacté négativement la Cnam, souligne le secrétaire général du syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot), M.Ali Farhat qui a, depuis novembre 2016, tiré la sonnette d’alarme quant à la gravité de la situation qui prévaut dans le secteur de la santé en général.
Oui il y a pénurie au niveau de certains médicaments, comme la flécaine (un anti-arythmique, traitement des tachycardies ventriculaires) ou le stilnox (utilisé contre l’insomnie) qui sont de la catégorie des princeps. Il s’agit de médicaments qui coûtent cher et n’ont pas de générique. Cela met le plus souvent le pharmacien dans des situations embarrassantes à l’égard du client.

Favoriser l’industrie pharmaceutique locale

Les solutions existent ailleurs, souligne de son côté Mme Aida Chekir (docteur en pharmacie) qui voit dans l’industrie pharmaceutique locale une issue de secours. L’Etat doit faciliter les obtentions des demandes d’autorisation de mise sur le marché pour les produits génériques, encourager les nouveaux projets d’industrie pharmaceutique souhaitant apporter des innovations et de nouvelles technologies, ce qui va créer des emplois et réduire considérablement les importations.

« La solution résiderait donc dans l’industrie locale », confirme-t-elle. « Malheureusement, les lobbies des multinationales œuvrent dans le sens contraire, ajoute-elle. En effet, les arguments avancés par certains délégués, lors de leurs visites en Tunisie, sont basés sur des propos négatifs sur la qualité des produits fabriqués localement. Les discours utilisés sont vides de tout argument scientifique sur fond d’ignorance totale de nos exigences réglementaires.
Cela étant, nos sites industriels sont soumis à des audits et inspections fréquentes nationales et internationales, ce qui permet aux industriels de s’inscrire dans une logique d’amélioration continue ».

Dans le même contexte, Mme Chekir préconise de n’importer que les produits protégés par des brevets, l’optimisation des utilisations des médicaments en réduisant les fuites vers les pays frontaliers telles la Libye et l’Algérie. Elle regrette à la fin la non-maîtrise du marché parallèle causée par la contrebande qui impacte négativement le marché local.

Réglementer le secteur des dispositifs médicaux

Si on ne trouve pas de solution, c’est tout le système de la santé qui risque de s’effondrer. Il faut combler les lacunes flagrantes qui subsistent encore sur les plans procédural et structurel au niveau de l’achat des médicaments pour mettre un terme aux vols et à la contrebande, préconise le secrétaire général adjoint. Il prend comme exemple le secteur des dispositifs médicaux (les divers produits de santé, valve, stent…) qui n’est pas encore réglementé et souffre d’un dysfonctionnement criard. Il arrive que les prix d’achat de ces dispositifs diffèrent d’un hôpital à l’autre, alors qu’ils sont sous la tutelle du même ministère, ce qui laisse la place à la conclusion de marchés douteux. « Il faut créer des centrales d’achat dont le rôle consisterait à lancer les appels d’offres pour l’acquisition de dispositifs médicaux et la conclusion de marchés dans la totale transparence », suggère M.Farhat .
On rappelle dans ce contexte qu’un projet de loi réglementant ce secteur est en cours d’élaboration au ministère de la Santé, afin de mettre un terme aux dysfonctionnements persistants.

Le secrétaire général adjoint du Spot, souligne de son côté, que la recrudescence de la contrebande et des cas de vol des médicaments par une minorité de grossistes véreux menacent tout le secteur et sapent les efforts de sa restructuration.

La Pharmacie centrale vit une situation bien difficile, mais c’est tout le secteur de la santé (il n’est pas le seul d’ailleurs) qui est gangréné par la corruption et la mauvaise gestion malgré les efforts déployés ces derniers temps.

Il est à noter enfin qu’on a voulu donner la parole à la direction de la Pharmacie centrale, mais elle n’a pas donné suite à notre demande.

Samir Dridi

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