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La presse | Tunisie | 18/02/2016
Nous l’avons rencontré le jour où il y a eu cet accident du bus qui a dérapé à Jedaïda. Un de ces moments de crise, où un bon nombre de responsables de la santé publique doivent se mobiliser. Mais comment gérer les urgences dans pareilles situations, si c’est déjà assez difficile au quotidien ? Entretien avec Dr Somrani qui a bien voulu nous dresser l’état des lieux.
On dirait que le nombre des consultants a augmenté depuis quelques années. Est-ce vrai, ou est-ce une simple impression ?
En effet, ces dernières années, il y a une augmentation de consultants au niveau des urgences. En l’an 2000, on comptait 2 millions et demi de passages. En 2015, le nombre total des passages dans tout le pays a atteint 6 millions et demi, dont 15% (soit moins d’un million) sont hospitalisés. A la Rabta, par exemple, on compte 90.000 consultants par an, soit 250 malades par jour. Les urgences jouent un rôle important au sein de nos hôpitaux. C’est là où la majorité des malades résolvent leurs problèmes de santé.
4 millions de passages en plus en 15 ans, le nombre est en effet très important. Pourquoi y a-t-il autant de monde, d’après vous ?
Le patient préfère aller aux urgences, quitte à passer de longues heures d’attente, mais gagner tout un package d’analyses ou de radio qui lui prendrait plusieurs journées en cas de consultation externe. Pourtant, le Tunisien dispose de plus de 2.000 centres de santé. Il n’est pas obligé de passer par les urgences. Mais l’accès à celles-ci semble être plus rapide pour lui.
Pense-t-on créer d’autres structures ?
Le problème, c’est que quand on crée des structures, les besoins augmentent. L’hôpital Habib-Thameur, par exemple, recevait 33.000 consultants par an avant l’ouverture de l’hôpital régional de Ben Arous. Après l’ouverture de ce dernier, Habib-Thameur reçoit 27.000 patients, tandis qu’à Ben Arous, le nombre atteint 60.000 consultants par an. Bref, en une dizaine d’années, on a enregistré 55.000 consultants supplémentaires.
D’où vient ce besoin ?
De la gratuité des soins et du fait que l’on s’interdit de refuser des malades. Cela dit, ces 15 dernières années, une quinzaine d’urgences ont vu le jour. Actuellement, on compte 183 urgences dans toute la république. Nous avons procédé à des réaménagements et à un renforcement des équipes. Le secteur évolue malgré tout. Depuis 2005, la médecine d’urgence est devenue une spécialité.
Comment cela ?
En 1998, et dans le cadre de la stratégie nationale de développement des urgences, on a créé un certificat d’études supérieures en médecine d’urgence et un diplôme supérieur spécialisé en la matière. C’est en 2005 qu’on est arrivé à la spécialité. Aujourd’hui, on a des professionnels compétents qui se chargent de la formation des universitaires. On a même créé la Société des médecins d’urgence. Mais hélas, chaque fois que l’on forme des spécialistes dans le domaine, il y a une fuite à l’étranger. Nos urgentistes sont très sollicités, notamment en France.
Qu’a-t-on également prévu dans le cadre de cette stratégie nationale ?
D’abord, le développement des urgences en hospitalier et extra-hospitalier, puis le réaménagement, la construction, l’augmentation des effectifs et, bien entendu, la formation.
Y a-t-il des urgences que l’on peut prendre comme modèle ?
Les urgences de l’hôpital Charles-Nicole, par exemple. Elles sont plus spacieuses, mieux éclairées, la couleur même des murs est adaptée à la nature du service, la circulation est facile et il y a des sorties de secours prévues en cas de violence.
A propos, comment expliquez-vous cette violence dans les hôpitaux et plus spécialement dans les urgences ?
Je ne peux pas l’expliquer. Mais je dirais quand même que la violence est un phénomène qui se généralise, hélas, de plus en plus, surtout depuis la révolution. On dirait qu’en plus de la colère qu’ils doivent ressentir, les gens n’ont plus peur de rien ni de personne. Pour revenir aux hôpitaux, la violence a réellement augmenté. On enregistre 2 ou 3 cas d’agression par jour à l’égard du personnel.
S’agit-il de violences verbales ou physiques ?
Les deux à la fois. Nous avons besoin d’une étude sociologique ou psychologique pour comprendre comment fonctionne le citoyen tunisien. Dans les urgences canadiennes, qui se croient débordées parce qu’elles reçoivent un flux de 20.000 consultants, on accepte d’attendre, alors que dans les nôtres, qui atteignent les 120.000 passages par an, on réagit violemment. Il y a quelque temps, à Kairouan, une jeune médecin a dû sauter du premier étage pour échapper à l’agression du parent de l’un de ses patients.
Pourquoi attend-on si longtemps dans les urgences ?
L’urgence a souvent besoin de se référer aux médecins spécialistes qui sont dans l’hôpital. Cela prend du temps.
Peut-on dire que cette violence est due, entre autres, aux problèmes d’organisation ?
Peut-être bien. Il y a beaucoup de problèmes dans toutes les urgences du monde. Certes, pour assurer des soins de qualité, il faut une organisation de qualité et il faut multiplier le personnel des urgences. Malgré tous les renforts qui ont eu lieu, nous manquons toujours d’effectif. Vous savez que dans la fonction publique, les recrutements ne sont pas adaptés aux besoins.
Quelles sont les spécialités qui manquent ?
On n’a pas de personnel spécialisé, en cas d’urgence vitale. Le brancardage, par exemple, un travail pénible, qui nécessite des gens musclés et bien portants, est un maillon qui manque dans cette chaîne humaine utile pour les urgences.
Que faire quand un brancardier, qui a un statut de fonctionnaire, est fatigué au bout d’un certain temps ?
On le paye quand même sans pouvoir profiter de ses services.
Qu’en est-il de la sécurité, la restauration et le nettoyage ?
Le même problème se pose. Il y a un manque d’effectif à ces niveaux-là aussi.
Comme on ne peut plus recruter, peut-on recourir à la sous-traitance, c’est-à-dire à une collaboration externe ?
Hélas non. On n’a plus droit à la sous-traitance.
Que prévoit-on dans le cadre de la stratégie nationale de développement des urgences pour résoudre ces problèmes ?
On a créé des commissions de médecine d’urgence au sein de chaque hôpital pour résoudre ces problèmes et mettre en place des mesures organisationnelles.
Quelles sortes de mesures ?
Priorité aux examens complémentaires et à l’hospitalisation des malades d’urgence.
Où en est-on actuellement ?
Certaines structures ont appliqué ces mesures, d’autres accusent du retard.
Et pourquoi d’après vous ?
Le président du comité de l’hôpital doit veiller à l’application de ces mesures.
Avez-vous d’autres projets en tant qu’Unité de médecine d’urgence ?
Nous avons un projet d’hôpital à La Manouba qui est à l’étude. Un projet de réaménagement à l’hôpital Sahloul et à l’hôpital Farhat-Hached de Sousse. A Tébourba, on est en train de préparer un service mobile d’urgence et de réanimation. Un nouveau service d’urgence à Kasserine verra bientôt le jour, et la construction d’un nouvel hôpital à Sfax est en cours. Car, là-bas, la situation des urgences est pire qu’ailleurs.
Tous ces projets sont nouveaux, pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?
Parce que, à une époque pas très lointaine, les urgences n’avaient pas autant d’importance. D’ailleurs, on les appelait les « KGB » (*), car on y affectait le personnel indésirable. On n’a commencé à réfléchir à la restructuration de ce genre de service hospitalier qu’en l’année 1998 dans le cadre de cette stratégie nationale de développement des urgences. Et puis, il faut dire que la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût.
(*) KGB : Pour faire allusion au Comité pour la Sécurité de l’État, principal service de renseignements de l’URSS post-stalinienne qui fait fonction de police politique.
S.B.S.
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