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Revue de presse

Secteur public : ces compétences qu’on veut perdre

La presse | Tunisie | 16/12/2015

Un éminent ophtalmologue empêché d’opérer et de transmettre un savoir dont il a le secret. Le privé ne peut que se frotter les mains. Il est des ministres et des responsables qui font carrière dans des départements, parce qu’ils appliquent l’adage qui dit que « pour vivre heureux, vivons cachés ». Ils évitent les remous, les décisions qui peuvent provoquer des réactions musclées ou éveiller des susceptibilités.

Ils se contentent de gérer le quotidien, colmater en surface les brèches, sans jamais aller au fond des choses, craignant de s’engluer en trop creusant. Cette catégorie existe toujours, malgré le bond et la profonde mutation que la Tunisie a connus. Saïd Aïdi et quelques autres n’en font pas partie.

En effet, le ministre de la Santé n’a pas reculé devant les problèmes du sensible et puissant secteur qu’il gère. Sa double visite à l’hôpital régional de Sfax et les courageuses mesures qu’il a prises n’en sont qu’un exemple. N’agissant pas en bulldozer qui détruit sans discernement, il a la réputation de réfléchir avant de faire ses options, en tenant toujours compte de l’intérêt général, celui des citoyens, surtout les plus démunis parmi eux. Ses déclarations vont d’ailleurs immanquablement dans ce sens. Mais comme tout être humain, il lui arrive de prendre une décision inopportune. Qu’en en juge.

Le service ophtalmologique de La Rabta

Connu et reconnu pour sa compétence, le Pr Mohamed Al Ifrit a été nommé il y a plus de trois ans chef du service ophtalmologique de La Rabta, après 27 ans passés à l’hôpital Habib-Thameur, avec l’engagement du ministre de la santé de l’époque de (re)construire et d’équiper le bloc opératoire en quelques mois. Rongeant son frein et se contentant d’auscultations dans des locaux délabrés et dans des conditions similaires à celles d’un hôpital au fin fond de la savane africaine, il a attendu, dépité de ne pouvoir prodiguer à ses innombrables patients les soins dont ils ont besoin, notamment en traitement chirurgical, lui qui est surnommé M. Glaucome, et dont l’avis est couru, même par les plus grands de la spécialité, dans les cas difficiles, dont les glaucomes congénitaux, selon l’avis même de plusieurs de ses collègues. Ne voyant rien venir et les quelques mois devenant des années, ce praticien (rappelons au passage qu’il est président de la Société tunisienne d’ophtalmologie et membre de la Société internationale de la chirurgie du glaucome) a présenté sa candidature pour le désormais vacant poste de chef du service ophtalmo de Habib-Thameur là où il peut être le plus utile, en assurant le maximum d’interventions en chirurgie non perforante et en pose de valves de déviation dont il est l’un des rares, sinon le seul, spécialiste du continent.

Tout cela, le ministre le savait, d’autant que des sommités en ophtalmologie le lui ont dit. Mais voilà, il a nommé à ce poste une praticienne qui était l’assistante du Pr Ifrit, malgré la note nettement supérieure accordée à ce dernier par le collège d’ophtalmologie et se contentant de l’avis beaucoup moins important de quelques membres du conseil médical qui ont pris en considération d’autres critères que ceux de la compétence et de l’intérêt des malades, toujours de l’avis de médecins de la spécialité.

Transmettre le savoir

Le ministère a pris quand même soin d’« octroyer » à cet éminent chirurgien une journée à l’hôpital Habib-Thameur pour qu’il puisse opérer ses malades, ce qu’il n’a pas manqué de faire, dans l’intérêt de ces derniers, et bien que cela soit insuffisant. Mais au bout d’un mois ou un peu plus, il a dû y renoncer tant on lui a rendu la tâche difficile et les conditions intenables.

Le grand perdant dans tout cela n’est pas le Pr Ifrit, car le secteur privé n’attend que son bon vouloir pour lui ouvrir les bras, mettre à sa disposition les meilleurs équipements et faire sa fortune. Ce sont les malades qui ne peuvent se permettre des soins dans les cliniques et dont les hôpitaux publics et les médecins qui s’y consacrent sont les recours.

C’est enfin cette spécialité qui perd un formateur qui aurait pu transmettre à ses assistants un savoir et des techniques dont il a le secret.
Au lieu de retenir par tous les moyens une compétence pour l’intérêt du maximum des Tunisiens, on la pousse vers une élite ?
Dommage !

Slaheddine GRICHI

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