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Revue de presse

Entretien avec Dr Ridha Kammoun, Professeur de dermatologie et vénéréologie : « Le traitement de l’hépatite C, inaccessible pour le Tunisien »

La presse | Tunisie | 18/04/2015

Le monde médical et associatif, dans le monde entier, vit une effervescence provoquée par le prix de vente astronomique d’un médicament miracle capable de guérir l’hépatite C en trois mois. Un traitement complet de douze semaines vendu à … 80.000 dollars, soit plus de 150.000 dinars. Un prix abusif qui suscite l’indignation dans le monde entier. Plusieurs dizaines de milliers de Tunisiens sont concernés, peut-être 200.000.

Nous avons sollicité l’avis de Dr Mohamed Ridha Kamoun, professeur de dermatologie et vénéréologie et président de l’ATL MST /Sida, pour un aperçu sur le débat autour de ce traitement inaccessible et prohibitif de l’hépatite C. Sachant que des pays similaires au nôtre, l’Egypte et le Maroc, ont trouvé des solutions pour leur population atteinte. Ce n’est pas encore le cas en Tunisie. Pourquoi ? Entretien.

C’est quoi l’hépatite A, B et C et quelles sont les différences qui les distinguent ?

L’hépatite est une maladie infectieuse due à des virus. On a connu les trois hépatites progressivement. A-B-C sont les plus connues, mais il y en a d’autres. Nous les appelons en arabe (Boussofir) ou (Iltihab el Kabidi al vairusi).
A est une maladie virale en relation avec l’hygiène qui se transmet par les mains, par les choses sales, par l’eau. B et C sont de connaissance plus récente. Mais B est évitable par le vaccin. C’est pour cette raison que le vaccin a été introduit dans le calendrier vaccinal de l’enfant en bas âge en Tunisie. Donc on peut dire que d’ici une génération, le problème sera maîtrisé.
La troisième maladie, c’est l’hépatite C, qui n’a pas de vaccin pour le moment mais qui est par contre curable par le biais d’un traitement. C’est une maladie qui n’est pas contagieuse par l’environnement comme la grippe, par exemple, mais elle est transmissible. Elle se transmet par des modes particuliers. Le problème de cette maladie, c’est son traitement excessivement cher, encore plus cher que le traitement du sida quand il a démarré, depuis 1990.

La population atteinte dans le monde s’élève à 185 millions. 120 mille en France, 650 mille au Maroc, 14 millions en Egypte. Combien sont-ils en Tunisie ?

En Tunisie, il y a un projet d’enquête pour vérifier le chiffre de la population atteinte. Nous avons des indices, mais non un recensement. On intégrait l’hépatite C dans certaines études sur la maladie du sida. Sur le VIH, nous avons des enquêtes. Sur l’Hépatite C, il y a un projet d’enquête. Le ministère de la Santé est très soucieux et veut connaître d’abord la prévalence générale.

Un projet d’enquête réalisable d’ici peu ?

Je ne peux pas l’affirmer, mais au dernier entretien avec le ministre, qui remonte à deux semaines, le souci de vouloir cerner la situation était perceptible. C’est un problème de santé publique réel. Par la connaissance du sida, nous avons appris beaucoup de choses sur l’hépatite C. La situation du sida ressemble à celle de l’hépatite. Le sida en Tunisie est dans une situation d’épidémie concentrée. C’est-à-dire, quand on fait une étude sur la population générale, on trouve un chiffre très bas de personnes atteintes, de l’ordre de 0,03. Ce qui sera peut- être la même chose pour l’hépatite, une situation épidémique concentrée. Le chiffre global par rapport à la population générale est bas, mais quand on enquête dans certaines régions, les pourcentages sont élevés de l’ordre de 10%. C’est énorme, une personne sur 10 est dans ce cas atteinte.

D’un autre côté, chez les personnes atteintes de VIH, on cherche l’hépatite, généralement le taux est très élevé. C’est le même type de contamination, par le sang ou par les relations sexuelles par exemple. Pour l’hépatite, je m’attends donc à ce que cela soit concentré chez certaines populations. Le VIH nous donne des leçons au niveau de l’approche.

Le laboratoire à qui appartient le Brevet du traitement contre l’hépatite C est un laboratoire américain, Gilead, qui a fixé le prix du traitement complet à 80 mille dollars, environ 157 mille dinars tunisiens.

Oui, mais le prix a diminué. A la base, le traitement était supérieur à 80.000 dollars.

Plusieurs organismes dont « Médecins du monde » ont dénoncé ce « brevet abusif », puisque selon eux, le prix de revient du traitement se situe entre 50 et 100 euros. Gilead a pris les devants, et a signé avec 11 « génériqueurs » indiens pour leur accorder le droit de produire la molécule générique et l’exporter à 91 pays à faible revenu. La Tunisie fait-elle partie de ces pays qui ont le droit d’importer ce générique qui coûte évidement beaucoup moins cher ?

D’après la convention, non. Il y a une liste de pays qui ont le droit de produire le générique et d’importer, mais pas la Tunisie.

L’Egypte a négocié avec le laboratoire Gilead pour produire le générique. Résultat, actuellement en Egypte, le traitement coûte seulement 900 dollars pour un traitement complet au lieu de 80.000 dollars. Le Maroc, de son côté, a réussi à déposer son AMM pour produire son propre générique.
Ce que je peux vous dire, c’est que le Maroc est bien géré maintenant. J’ai eu des contacts assez récents avec la société civile marocaine qui fait beaucoup dans les plaidoyers pour obtenir de bonnes conditions d’achat de médicaments.

Ce n’est pas le cas en Tunisie ?

La Tunisie est en retard par rapport au Maroc. Nous étions en avance, maintenant nous sommes en retard et nous allons accumuler encore des retards. Parce qu’il faut qu’on trouve des politiques qui nous aident à nous en sortir.

Combien coûte le traitement complet d’hépatite C en Tunisie ?

C’est très cher, des centaines de milliers de dinars.

Le Tunisien même moyen ne peut y accéder ?

C’est inaccessible pour les personnes, pour les caisses et pour le pays.

Les Tunisiens atteints d’hépatite C sont condamnés à mourir en Tunisie ?

On peut le dire ainsi. Le traitement du sida aussi coûtait très cher. Nous avons fait un plaidoyer et nous avons réussi à le faire rentrer en Tunisie gratuitement, quand il était très cher pour tous les Tunisiens.

Après, il y a eu une révolution comme pour l’hépatite maintenant. Les gens étaient en demande et se révoltaient contre les laboratoires. Des pays ont fabriqué un générique hors-la-loi pour le sida. Bien entendu, les laboratoires ont intenté des procès internationaux. Mais ce sont les pays qui ont eu gain de cause.

Pourquoi ne fait-on pas de même pour le traitement de l’hépatite C ?

C’est pour cette raison que je dis que les leçons tirées peuvent servir. Mais ce laboratoire Gilead détenteur du brevet a été plus intelligent. Dès le départ, il a permis à un certain nombre de pays de fabriquer pour beaucoup moins cher, mais en limitant les pays bénéficiaires dans une liste restrictive.

La Tunisie n’est pas un pays riche, pourquoi n’est-elle pas incluse dans cette liste ?

Non, pour le moment, la Tunisie ne figure pas dans la liste.

Si on résume la situation, pour ce qui concerne la Tunisie, notre pays n’est pas inclus dans la liste des pays bénéficiaires fixés par le laboratoire, n’a pas déposé de brevet, donc ne produit pas de générique ; et pour finir, n’a pas le droit d’importer de l’Egypte ou de l’Inde ?

Oui, pour le moment, en Tunisie, le traitement coûte très cher. Il est inaccessible !

Entretien réalisé par Hella Lahbib

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