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La presse | Tunisie | 19/02/2011
Le gel des réformes inopportunes
Certains projets de réformes engagés ces derniers mois qui ont précédé la révolution populaire qui a balayé le régime en place doivent être gelés pour être réévalués. Et pour cause, ces réformes s’inscrivaient dans une orientation politique dangereuse qui était celle de la démission de l’Etat du secteur public et la promotion immodérée du secteur libéral annihilant toutes les chances d’attractivité de l’hôpital public. Un exemple en est une illustration, la politique, devenue prioritaire, d’exportation des services de santé. Si l’importation de patients étrangers en Tunisie, car il s’agit de cela en réalité, est une excellente option pour l’économie nationale et pour le secteur libéral, la politique adoptée était catastrophique. Le projet de création d’agences d’intermédiaires, pour ne citer que celles-là, allait consacrer la faillite de la déontologie et de l’éthique médicales. Cela revenait à créer des réseaux de «distribution» des malades, tenus par des professionnels dont le statut et les prérogatives sont restés flous et qui seraient au service de groupements d’intérêts que l’on peut aisément imaginer. Ce monopole n’avait aucune chance de promouvoir les compétences ou l’équité, mais le système de commissions. Les malades seraient livrés au plus offrant, à la commission la plus élevée, à la ristourne la plus conséquente… Ainsi, au lieu de combattre la dichotomie qui a gangréné le secteur libéral, on allait l’ériger en institution bénie par l’Etat. Quant au projet de mise à niveau du secteur public, il a été élaboré dans le cadre de ces orientations tant décriées par les professionnels de la santé. Ce dossier doit être traité, de nouveau, à la lumière d’une nouvelle politique de santé, portée par un projet global qui sera mis en application par un gouvernement élu, en lui allouant des budgets conséquents.
Les ressources humaines
Il est indispensable de répondre aux besoins urgents en effectifs médicaux et paramédicaux, aussi bien dans les hôpitaux universitaires que dans les hôpitaux régionaux, identifiés depuis des années, portés à la connaissance des ministres successifs et qui garantissent le bon fonctionnement des institutions publiques de santé et la sécurité des malades.
De façon démagogique, une loi irrationnelle et injuste, à laquelle ont bien sûr échappé les candidats «recommandés» et «pistonnés», a décrété qu’on ne recrutait pas de médecins spécialistes dans les hôpitaux universitaires dont le fonctionnement devait être assuré par les seuls médecins universitaires. Deux failles dans cette option. D’abord, la création de postes universitaires est adaptée aux besoins d’enseignement et de recherche des facultés de Médecine et non pas sanitaires des hôpitaux universitaires qui ont une mission de soins en plus de celles de formation et de recherche. Cela a perverti le choix de la carrière universitaire devenue le seul moyen de recrutement dans les hôpitaux des grandes villes et dont les concours se sont transformés en moyens de promotion administrative. Je me garderai d’en commenter les conséquences potentielles sur la qualité de l’enseignement médical. Ensuite, ce biais de recrutement a dramatiquement réduit les effectifs médicaux dans les hôpitaux universitaires. Les consultations et les urgences se sont vu confiées aux médecins en apprentissage, au lieu d’être assurées par des médecins seniors, qui, seuls peuvent assumer la responsabilité de l’efficience des soins et de la sécurité des patients.
La situation n’est pas meilleure pour ce qui est des personnels paramédicaux. Il n’est pas nécessaire d’aller à Regueb pour trouver un infirmier seul pendant l’astreinte d’après midi ou la garde de nuit. Cette même situation on la retrouve dans les hôpitaux universitaires.
Ces modes de fonctionnement sont inacceptables
Le renforcement en personnels des hôpitaux universitaires, au même titre que des hôpitaux régionaux, est une priorité qui ne peut souffrir d’être différée. Les hôpitaux universitaires sont sous la pression de l’afflux d’un nombre élevé de patients des grandes villes, accueillent des patients de toutes les régions, assurent un soutien aux hôpitaux régionaux et sont la référence pour des pathologies lourdes et des thérapeutiques pointues. En outre, ils sont la référence dans la formation des personnels de santé et donc les garants de la santé de demain, publique et privée.
Les contraintes budgétaires ont servi d’alibi. Pourtant cela tombe sous le sens, le retard de diagnostic et l’allongement de la durée d’hospitalisation avec pour corollaire l’augmentation de l’absentéisme ont un coût plus élevé que les émoluments des personnels. Sans compter que des sommes colossales ont été investies dans des équipements sous employés voire inexploités en raison du manque de personnel.
A cela s’ajoute la détérioration de la qualité de la prise en charge, que ce soit au niveau des conditions d’accueil des patients et de la déshumanisation de la relation soignant-patient qu’au niveau de la qualité et de l’efficacité des soins.
Des centaines d’emplois justifiés sont à pourvoir dans le secteur public de la santé et dont le financement doit nécessairement être la priorité du gouvernement. Ils permettront d’atteindre un double objectif, l’emploi des jeunes et la justice sociale. Car, à quelle justice sociale pourrait-on prétendre si les citoyens, quelle que soit leur catégorie sociale, n’ont pas accès à des soins de qualité?
Le problème de l’implantation des spécialités médicales à l’intérieur du pays doit, quant à lui, s’inscrire dans une perspective de développement régional en même temps que de choix stratégiques de santé. Dans l’urgence, la solution peut venir d’un recrutement immédiat de médecins dont les demandes d’emploi sont déposées au ministère de la Santé publique et d’un effort de solidarité auquel les médecins ont spontanément et en nombre répondu. Elle ne doit pas reposer sur des solutions provisoires à effet de poudre aux yeux, comme le service national. Celui-ci a un triple inconvénient: il est exclusivement appliqué au corps médical et au sein du corps, il ne s’applique qu’à certains spécialistes, il est de fait vécu comme une injustice et ne tient pas compte des situations personnelles et familiales particulières; il se base sur l’implantation dans les régions de médecins sous-payés qui ne s’impliqueront pas dans le développement durable des structures sanitaires du fait de leur affectation provisoire, forcée et subie et il bloque la création d’emplois en «comblant les trous» à faible coût.
Un Etat fort et l’application de la loi
L’autorité de l’Etat et la prééminence de la loi doivent être réhabilitées. Ce qui a perverti la vie dans la cité, d’une façon générale, et le secteur de la santé, en particulier, est le constat d’impunité devant tous les dépassements. La priorité n’est pas la chasse aux sorcières. C’est le rétablissement d’un fonctionnement normal des institutions, débarrassé de la corruption, du laisser-aller, du mépris de la réglementation… de la «sorcière» pour le coup. Cela est possible par la simple application de la loi, sans exclusive. Ceux qui ont commis des méfaits devront répondre de leurs actes. Ceux qui continuent aujourd’hui à défier la loi et les règlements, quel que soit le corps auquel ils appartiennent, ceux qui bloquent le fonctionnement des institutions de santé de façon anarchique et au mépris des règles élémentaires de la revendication légitime, devront aussi assumer leurs responsabilités et répondre de leurs actes. Il est temps que la Loi soit au-dessus de tous et que les procédures réglementaires qui sont à la base d’un Etat de droit soient respectées.
Les revendications salariales et corporatistes ne doivent pas occuper le devant de la scène à l’heure actuelle. Néanmoins, à moyen terme, la revalorisation des salaires des personnels soignants, médecins universitaires, médecins sanitaires et personnels paramédicaux et juxta médicaux, devra être traitée avec sérieux et sans démagogie. C’est une condition nécessaire pour arrêter l’hémorragie de médecins hospitaliers vers le secteur libéral. C’est aussi une condition, à côté de la stricte application de la loi, pour mettre un terme à tous les dépassements et à toutes les dérives, notamment ceux liés à l’activité libérale réglementaire ou sauvage, qui déstructurent les hôpitaux publics et le système de formation médicale.
Cette réflexion n’est pas exhaustive et n’aborde que certaines priorités. Un débat approfondi et décomplexé devra précédé des réformes radicales portant sur l’élaboration d’un code de la santé, la révision du Code de déontologie médicale, la démographie médicale, la réforme de l’enseignement de la médecine, les filières de formation para et juxtamédicale, la formation médicale (et paramédicale) continue, les modalités d’installation dans le secteur libéral, la carte sanitaire, les équipements lourds, les passerelles privé-public, les pôles de santé, l’industrie pharmaceutique, la caisse d’assurance maladie… Le chantier est vaste et ne peut être engagé que par l’implication de tous les acteurs du secteur.
Auteur : Par Dr Emna MENIF (Professeur en Médecine)
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