Il y a certes un hôpital doté d’équipements, de généralistes et d’un staff hospitalier ; mais les médecins spécialistes ont du mal à accepter un poste dans les régions rurales et boudent le Sud du pays. Ceci pose problème. Seule une caravane de santé, qui pointe de temps à autre dans le Sahara pourrait atténuer le déficit. «La psychiatrie est le parent pauvre du secteur. Les psychiatres travaillent très bien dans les grandes villes et n’aiment pas exercer dans le Sud. Malgré les indemnités encourageantes proposées par l’Etat, les médecins restent réticents…», a lancé un responsable de l’hôpital aux psychiatres de Tunis.

Du cas par cas

Ces mêmes propos ont été répétés par le gouverneur de Tataouine. «Pourtant, nous ne sommes pas très loin. Nous ne sommes qu’au Centre du pays. Il y a certes 550 km entre Tataouine et Tunis. Mais, il nous reste le même tronçon entre Tataouine et la frontière sud. Ces caravanes de santé qui s’arrêtent chez nous pour ausculter nos malades se multiplieront certainement, avec le Projet présidentiel concernant l’autoroute, Sfax-Médenine, qui sera érigée très bientôt. Cela aura certainement un impact sur la santé de la population…», a dit le gouverneur de Tataouine avant que les médecins n’entament leurs consultations.

Les autorités régionales ont tenu informée, quelques jours auparavant, la population de l’arrivée de la caravane de psychiatres. Ce qui explique le monde fou venu se soigner.
Lundi à 10 heures du matin. Il fait très chaud à Tataouine avec un soleil de plomb. La salle d’attente flambant neuve est pleine à craquer. Les gens sont venus de tous les coins du gouvernorat pour se faire ausculter. Le staff de l’hôpital est tout naturellement mobilisé. A la disposition des médecins, trois boxes. Les fichiers de quelque quarante malades au rendez-vous du premier jour sont confiés à des infirmières qui connaissent les patients au cas par cas.
Le Quotidien a obtenu la permission du professeur Hechmi Zouheïr pour suivre les consultations et le déroulement des visites. A gauche, dans un couloir peuplé d’hommes, de femmes, de petits et de grands, un box exigu. A tour de rôle, les patients ont répondu à l’appel de l’infirmière. Tous ou presque sont accompagnés. Une lueur d’espoir se dessine dans le regard des accompagnateurs. Le Pr. Zouheïr regarde les fiches de chacun à la virgule près et à chacun son mal. Il interroge le parent du patient, le malade, généralement, délirant, écoute, prend tout son temps, explore, prescrit, et en tire les conclusions. A ses côtés, la jeune neurologue Asma Kaâbi, prend note.

Pour un planning radical…

De temps à autre, il prend son mobile et appelle ses collègues de la pédiatrie, de la dermatologie,… et c’est lui-même qui s’occupe des rendez-vous supplémentaires pour ses patients qui souffrent d’autres maux, à part leur état mental grandement atteint.
Les consultations ont pris un peu plus de trois heures le premier jour. Une quinzaine de minutes pour chaque malade en moyenne.

Après avoir consulté leurs patients du jour, les médecins se retrouvent pour un briefing.
«Ce qui a attiré mon attention, c’est que le père et la mère suivent de près l’état de leur petit. Cela me soulage un peu. Mais, il y a trop de jeunes affectés…», a soulevé le Pr. Fethi Nacef. «Oui. Moi, ce qui m’a frappé, ce que bon nombre d’habitants se soignent avec des herbes et sont inconscients de la gravité de la maladie. Ce qui m’a choqué aussi, c’est que le planning familial ne fonctionne pas assez dans la région. La contraception n’existe presque pas et les familles sont nombreuses et souvent très pauvres. Il faut revoir ce registre d’urgence. a ne peut pas continuer ainsi», a avoué de son côté le Pr. Mejda Chôur.

Moins pessimiste que ses collègues, le Pr. Hechmi a tenu d’autres propos. «J’ai vu pire à Médenine. Un bilan, c’est important ! C’est bien d’organiser de temps à autre des caravanes, mais ceci ne va pas résoudre sérieusement le problème. Il faut des solutions radicales».
La caravane (avec ses médecins et ses organisateurs) a continué sa traversée dans le désert. Le lendemain mardi, une vingtaine de patients se sont précipités sur les lieux. Ils ont été pris en charge et orientés par les médecins qui ont une idée de la situation, qui aiment multiplier leurs actions sociales et qui vont, sans aucun doute, convaincre leurs cadets pour aller au Sud exercer le plus beau des métiers, celui de servir autrui.

Zohra ABID KEFI