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El Watan | Algérie | 31/05/2021
Une douzaine d’associations des différentes régions du pays, organisées en alliance nationale des associations d’aide aux patients atteints de cancer, lancent un appel au président de la République afin de trouver des solutions pour l’amélioration de la prise en charge «des patients cancéreux aujourd’hui à l’abandon», a d’emblée déclaré Hamida Kettab, secrétaire générale de l’Association d’aide aux patients cancéreux du CPMC, lors de la conférence de presse organisée hier par cette alliance à Alger.
Rupture de médicaments pour les enfants cancéreux, pannes répétitives et arrêts de plus d’une dizaine d’accélérateurs de radiothérapie dans les centres publics CAC à travers le pays, rupture de stock des médicaments de chimiothérapie, absence de molécules innovantes, absence de soins palliatifs et dysfonctionnement généralisé à tous les niveaux du circuit de prise en charge du patient cancéreux sont autant de problèmes soulevés par ces associations qui ne savent plus à quel saint se vouer et tirent la sonnette d’alarme. « En 2021, des enfants décèdent en Algérie faute de médicaments de chimiothérapie dont les prix sont dérisoires. Nous enregistrons 3500 décès par an suite au cancer du sein. Des mamans, des jeunes filles meurent tous les jours d’un cancer du sein, près de dix décès par jour, faute de soins de radiothérapie alors que l’Algérie dispose d’une cinquantaine d’accélérateurs dans les secteurs public et privé », a-t-elle déploré en qualifiant la situation de « catastrophique ».
Elle signale que les délais pour avoir un RDV de radiothérapie pour une patiente atteinte du cancer du sein après avoir subi la chirurgie et les séances de chimiothérapie est entre 8 à 12 mois. « Ce qui est aberrant. La patiente a tout le temps de récidiver, voire de mourir. Ce sont les mêmes délais enregistrés en 2012, alors qu’à cette période-là l’Algérie ne disposait que de 7 accélérateurs.
Pourquoi la situation est toujours pareille, voire pire aujourd’hui ?» s’est-elle demandée, tout en déplorant des ablations du sein systématiques chez des jeunes mamans, pour la simple raison que la radiothérapie ne leur est pas accessible dans les délais.
La secrétaire générale de l’association El Amel pointe du doigt les responsables locaux et les autorités sanitaires, en premier lieu « le ministère de la Santé, qui ne répond plus à nos préoccupations, malgré toutes nos sollicitations, alors que des patients sont entre la vie et la mort. Dans un passé récent, les autorités étaient quand même à l’écoute et sensibles à nos difficultés. Actuellement, c’est le black- out total. On nous sort à chaque fois la Covid. D’ailleurs, le ministère de la Santé est devenu un ministère de la Covid-19, sans plus. Que fait la direction de la prévention chargée des maladies non transmissibles ?»
Pour Mme Kettab, la mauvaise gestion est à l’origine de la situation actuelle. « L’Etat a mis des moyens colossaux pour la prise en charge des patients cancéreux, mais la gestion de ces moyens est déplorable. Sinon comment expliquez-vous que des accélérateurs de radiothérapie sont placés dans certains centres où il n’y a pas de malades, en plus des affectations massives de spécialistes dans des régions où il n’y a pas la spécialité et les équipements nécessaires ? Des services se retrouvent avec des physiciens, des radiothérapeutes, des manipulateurs en radiothérapie, alors qu’il n’y a pas d’accélérateur. L’exemple d’Oran est édifiant », a-t-elle ajouté.
Elle cite la wilaya d’Adrar, qui dispose de trois accélérateurs de radiothérapie de dernière génération, dont deux sont toujours sous emballage, mais où il n’y a pas de malade. « Les rares cas de cancer du sein pris en charge au niveau de ce centre ont été orientés vers d’autres wilayas du pays par le biais des associations, en collaboration avec l’association locale qui a assuré la restauration et l’hébergement. Les centres de Sétif, Batna, Alger (CPMC), Constantine, Oran, Blida sont tous à l’arrêt. Il reste El Oued et Béchar qui fonctionnent au ralenti, selon la disponibilité des médecins. Entre 30 à 40 malades sont pris en charge par jour dans ces centres, alors qu’avec un accélérateur de radiothérapie on peut traiter jusqu’à 150 patients par jour. N’est-ce pas un gâchis pour tous ces investissements qu’il faut rentabiliser ? C’est pourquoi nous parlons de mauvaise gestion. Nous avons besoin de vrais gestionnaires, des économistes de la santé à la tête des structures et même du ministère de la Santé. Nous n’avons pas besoin de médecin ministre. La place du médecin est à l’hôpital », a-t-elle souligné.
Interrogée sur le programme de la plateforme nationale de numérisation des rendez-vous de radiothérapie, lancé en grande pompe en janvier par le ministère de la Santé, Mme Kettab affirme qu’aucun RDV n’a été pris. « Lancer hâtivement cette opération sans s’assurer des bonnes conditions de soins au préalable et de la performance de ces centres, c’est mettre en danger nos malades », a-t-elle indiqué.
« L’annonce a été faite sans avoir réellement préparé les centres récepteurs et comment assurer la prise en charge des patients une fois sur place. En plus, sur les 15 centres sélectionnés, la majorité est à l’arrêt ou simplement ne dispose pas de service de radiothérapie. Voilà une preuve de mauvaise gestion et de bricolage. Rien n’est prêt, alors que la maladie n’attend pas », a-t-elle lancé Et d’ajouter : « Ce n’est qu’un effet d’annonce. »
Abondant dans le même sens, le Dr Chebaani Zoulikha, représentant l’association de Batna, n’a pas mâché ses mots. « Nous sommes en train de tuer des femmes tous les jours en les privant de soins, en l’occurrence la radiothérapie. De nombreuses patientes ont dû prendre deux fois le protocole de chimiothérapie par faute de radiothérapie, qui les ont affaiblies davantage au vu de la toxicité de la chimiothérapie », a-t-elle lancé, tout en déplorant « l’absence de l’irathérapie à Batna pour le traitement des cancers de la thyroïde, dont de nombreuses femmes en sont atteintes ».
Pour elle, il est inadmissible de voir ces appareils coûteux tomber en panne sans que des contrats de performance et de maintenance ne soient établis en amont avec les importateurs. Elle déplore la surexploitation des anciens équipements, dont certains ont atteint les délais pour leur renouvellement. « Une situation qui risque de se compliquer pour les années à venir si rien n’est fait », relève Abderrahmane Toumi, président de l’Association d’aide aux malades El Ghaith El Kadim d’Adrar, qui signale que le CAC est dépourvu de tous les moyens nécessaires pour la prise en charge des patients locaux, dont l’ECG, un téléthorax, un scanner et des examens biologiques. « Il faut à chaque fois évacuer des patients sur des centaines de kilomètres dans le désert, sous une température de 48°C, pour un téléthorax ou une échographie du cœur. Certains décèdent en cours de route », a-t-il regretté. Et de s’interroger : « Comment voulez-vous envoyer des malades des wilayas du Sud pour soins de radiothérapie dans le cadre de la plateforme avec un seul accélérateur qui fonctionne entre deux pannes. Nous avons beaucoup de respect pour ces malades, nous devons leur offrir les soins dans de bonnes conditions. »
Il signale que « les patients, qui ont déjà entamé leurs cures de radiothérapie, toutes localisations confondues, ont été contraints d’interrompre leurs soins en attendant de leur trouver des places disponibles dans d’autres centres anticancer à l’est et à l’ouest du pays, parce que le seul accélérateur qui fonctionne au niveau du CAC d’Adrar était en panne, alors que deux autres n’ont jamais fonctionné ». Un constat général alarmant que les 12 associations ont tenu à dénoncer tout en interpellant le président de la République pour agir et se pencher sur toutes ces questions d’une urgence vitale.
DJAMILA KOURTA
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