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Revue de presse

Pr Rachid Belhadj. Président du Syndicat des professeurs et chercheurs universitaires : « Il y a un décalage entre les chiffres déclarés et la réalité »

El Watan | Algérie | 28/11/2020

Président du Syndicat national des professeurs et chercheurs universitaires, le professeur Rachid Belhadj, chef de service de médecine légale au CHU Mustapha Bacha, à Alger, parle de «disparité» entre le nombre officiel des décès provoqués par la Covid-19 et la réalité, en expliquant que les autorités ne comptabilisent que les cas confirmés par un prélèvement PCR l Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il parle de chiffres noirs, de déperdition de données et évoque aussi cet Observatoire des décès, censé avoir la mission de collecter toutes les données auprès des services de l’état civil pour avoir les causes de la mortalité en Algérie, qui est totalement absent, selon lui.

Comment expliquer ce décalage entre le nombre de décès annoncé officiellement et la réalité ?

Effectivement, en tant qu’universitaire et de surcroît médecin légiste, je peux dire qu’il y a un décalage entre les chiffres déclarés par le comité scientifique et la réalité.
Il y a eu un grand débat avec nos collègues du comité scientifique, des compétences avérées, puisque ce sont tous des professeurs en médecine.
Ces derniers expliquent que dans le décompte, ils ne tiennent compte que du nombre des décès confirmés par un diagnostic PCR. En fait, ils se conforment aux recommandations de l’OMS, relatives aux statistiques liées à la pandémie.

Comment peut-on obtenir des données fiables, sur la base d’un prélèvement PCR dont la disponibilité dans les établissements hospitaliers est insignifiante ?

Même avant la pandémie, l’Algérie n’a jamais pu gérer ses statistiques. Il y a toujours des chiffres noirs qui échappent au décompte. Cette pandémie a mis en exergue la problématique du système de santé et celle de la recherche universitaire.
A ce jour, hélas, nous baignons dans cette bataille des chiffres déclarés par la tutelle, détenus par les établissements de santé et ceux qui nous échappent. Il faut savoir que l’Algérie ne s’est dotée d’un modèle unique de certificat médical de décès, comme le recommande l’OMS depuis des années, qu’en 2018.

Nous y avons introduit le signalement médico-légal, mais aussi les décès à risques éventuels de contagion, qui appellent à la mise immédiate du corps dans un cercueil hermétique, ainsi que les causes exactes du décès. Depuis l’indépendance, la cause des décès des Algériens mentionnée sur ce certificat était l’arrêt cardio-respiratoire.

Sur le nouveau modèle, il est fait mention de trois cases qui comportent la cause initiale, la cause intermédiaire et la cause finale du décès.
Ce sont des informations scientifiques et médicales exploitables par l’Institut de la santé publique mais aussi par l’Observatoire national des décès, dont le rôle est justement de recenser toutes les causes de mortalité, violente, naturelle, non déterminée et même les cas autopsiés.

L’observatoire collecte tous les certificats de décès déposés au bureau de l’officier de l’état civil. L’objectif est d’avoir une base de données nécessaires pour développer une politique sanitaire. Malheureusement, cet Observatoire est absent.
Dans tous les pays du monde, les informations sur les causes de décès constituent des éléments essentiels pour les systèmes de santé. On ne peut pas agir ou élaborer des politiques de santé avec des chiffres noirs.

Pour revenir aux bilans, les vraies statistiques ne se trouvent pas dans les hôpitaux mais au service de l’état civil, qui délivre le permis d’inhumer.

Vous êtes dans le plus important établissement hospitalier de la capitale qui reçoit le plus de malades. Vous retrouvez-vous dans les données officielles ?

Je peux vous dire que même durant la première vague, où on hospitalisait tous les cas suspects, nous n’avions pas atteint le niveau d’hospitalisation du mois de novembre. A notre niveau, au CHU Mustapha Bacha, nous avons actuellement 235 malades hospitalisés, dont 44 sont en réanimation.
Avant, nous ne dépassions jamais les 120 malades. Il faut savoir que ces derniers ne sont pas des cas suspects ou bénins. Il s’agit de malades qui ont besoin d’oxygène. Leur hospitalisation est obligatoire. A ces derniers, il faut ajouter un nombre plus important de ceux qui font des formes légères de contamination.

Nous recevons une moyenne de 80 malades par jour, auxquels nous prodiguons des soins mais sans qu’ils ne soient hospitalisés. Ils sont suivis avec un contrôle le 2e jour, le 5e jour et le 10e jour. Une moyenne de 4 ou 5 malades seulement font des complications. Ils sont hospitalisés.

Il y a aussi le phénomène d’automédication, qui nous échappe totalement. Ces malades ne viennent à l’hôpital que lorsqu’ils ont des complications et, malheureusement, ce sont généralement des personnes âgées. Je peux vous affirmer que jamais cette frange de la société n’a été touchée de plein fouet comme durant cette pandémie.

Nous sommes confrontés à certaines familles qui sont encore dans le déni de la contamination. Pour vous citer un exemple, nous avons été requis pour faire un constat de décès d’une femme chez elle.
Selon son époux, elle est morte de manière rapide, mais le médecin, vu le jeune âge de la femme et l’absence d’éléments cliniques, a conclu à une mort indéterminée, donc une autopsie s’est imposée. La famille s’est opposée énergiquement, avant que le procureur n’intervienne.

A notre grande surprise, les conclusions de l’autopsie et les prélèvements ont confirmé qu’elle est morte des complications de sa contamination par la Covid-19.
L’enquête ouverte par le procureur a révélé que la victime était grippée durant une semaine avant son décès et que l’époux avait menti et que toute sa famille était contaminée.

Aujourd’hui, nous avons aussi un grand problème avec ces malades.
Ce sont certes des personnes âgées, mais elles souffrent de maladies qui les rendent dépendantes comme l’Alzheimer, non voyantes, invalides, etc. et ont besoin de nursing.

Quel est la structure qui peut assurer en plus des soins ce genre de service ?
Comment se fait-il que le nombre de cas en réanimation déclaré officiellement tourne autour d’un peu plus d’une quarantaine de malades ?

En fait, le nombre que la commission scientifique rend public est celui des cas intubés et non pas celui des malades en réanimation.
Donc, vous avez encore un autre chiffre noir qui se perd. Cependant, je peux vous dire que ces derniers jours la tension sur les lits d’hospitalisation a baissé un peu, mais nous continuons à recevoir de plus en plus les cas graves, c’est-à-dire qui compliquent, surtout des personnes âgés oxygéno-dépendantes.

Quel est le circuit qu’emprunte alors l’information qui remonte vers le comité scientifique ?

Le comité scientifique reçoit les statistiques des hôpitaux avec les résultats des prélèvements PCR. Le ministère de la Santé est dans l’obligation de ne déclarer que les cas validés par une PCR.

C’est là que réside la faille. Il y a une déperdition des chiffres en cours de route. Elle n’est pas volontaire. C’est juste que nous sommes, hélas, rattrapés par notre système de santé.
Nous accusons un retard énorme en numérisation. En tant que syndicat, nous avions posé le problème de numérisation au moins à une dizaine de ministres de la Santé qui se sont succédé ces deux dernières décennies, malheureusement nous sommes toujours à l’ère du papier, alors que de nombreux pays sont dans la i-médecine.

Quel est le rôle alors de cette plateforme dont les autorités sanitaires parlent et qui, selon elles, centralise les données ?

La plateforme existe, mais elle aussi est sélective. S’il n’y a pas de résultat des prélèvements PCR, elle ne comptabilise pas le décès. Pas uniquement pour les décès, mais aussi pour les cas contaminés.
Lorsqu’une personne se présente aux urgences médicales de l’hôpital, avec une symptomatologie modérée, elle passe par des examens biologiques et le scanner pour voir les lésions.
Si celles-ci sont minimes, on lui prescrit le traitement, elle va se confiner chez elle et rester en contact avec les médecins qui la suivent. Il ne subit pas de test PCR, qui est destiné uniquement aux malades qui compliquent et qui sont hospitalisés. De ce fait, elle n’est pas comptabilisée comme étant contaminée.

Obtenez-vous les résultats des prélèvements PCR rapidement ?

Au début, lorsqu’il n’y avait que l’Institut Pasteur qui faisait les analyses, les résultats mettaient beaucoup de temps pour nous parvenir.
Mais, depuis que plusieurs autres laboratoires se sont lancés dans cette activité, les résultats nous arrivent dans un délai raisonnable.
Mais, pour nous le test PCR vient en dernier. Nous avons développé un algorithme basé sur la clinique, le contexte épidémiologique, les examens complémentaires, notamment le scanner pour arriver et la PCR à la fin. Si un des éléments manque, le diagnostic peut être faussé.
On peut avoir une PCR négative, alors que le scanner montre des lésions assez étendues. Cela veut dire soit que le prélèvement a dû être mal fait, ou alors lorsqu’il a été fait, le virus n’était plus dans la région nasale.

Pour revenir aux situations que nous recevons, il y a les malades qui arrivent aux urgences en détresse respiratoire et qui doivent faire un scanner. Ils sont dans un état critique.

Certains ont fait des arrêts cardiaques sur la table même du scanner.
Avec eux, c’est la course contre la montre. Ils peuvent décéder dans les heures qui suivent leur admission, si la structure sanitaire ne possède pas par exemple un scanner.
Mais la situation devient plus complexe lorsqu’on reçoit des personnes décédées chez elles. C’est ce qu’on appelle les corps chauds. Les médecins font le constat de décès et devant l’absence d’exploration et de données cliniques, ils concluent généralement à la mort aux causes indéterminée.

L’autopsie s’impose avec tous les risques qu’elle comporte, sachant que ce ne sont pas tous les services de médecine légale qui bénéficient des moyens des CHU.
Il faut savoir que 80% des personnes décédées pour des causes indéterminées et qui ont fait l’objet d’autopsie se sont avérées des cas Covid. Nous nous attardons beaucoup sur les détresses respiratoires, mais souvent les gens font des formes atypiques de la Covid-19, comme les douleurs abdominales ou la Covid digestive, des morts subites, un arrêt cardiaque, ou encore un œdème cérébral qu’on appelle la Covid cérébrale.

Pour revenir aux données, les malades admis en déchocage sont ceux que l’on perd le plus durant les heures qui suivent leur hospitalisation. Ils arrivent en fin de cycle. C’est ce qui se passe dans beaucoup de pays confrontés à la pandémie. Beaucoup de malades meurent en soins intensifs.

En situation de déchocage, nous n’avons même pas le temps de faire les prélèvements PCR. Pour ce qui est des malades hospitalisés, il faut savoir que nous ne sommes plus dans la même procédure que celle adoptée au début de la pandémie.
Nous n’hospitalisons que les malades à comorbidité en besoin d’oxygène et ceux qui ont plus de 50% de lésions. Ils sont maintenus en soins intensifs durant quatre à cinq jours et parfois plus d’une dizaine de jours.

C’est là que se pose le problème de disponibilité des lits de réanimation. Pour y faire face, nous avons essayé de transformer des unités post-opératoires des services de chirurgie en salles de réanimation. Mais le manque de personnel qualifié en soins intensifs, notamment de médecins anesthésistes réanimateurs, s’est posé avec acuité.

Comment est-ce possible, alors que les autorités affirment qu’il y a suffisamment de lits en réanimation ?

Il y a une confusion majeure entre les différentes unités de soins. Il faut savoir que l’unité de déchocage est censée contenir deux lits seulement, où le malade reçoit les soins hyper-intensifs, durant deux à quatre heures, en présence permanente du personnel médical qualifié, avant d’être transféré à la réanimation intensive.
Ce sont des étapes très importantes pour la prise en charge du malade. Malheureusement, c’est à ce niveau qu’il y a une forte pression.

Actuellement, au niveau du CHU, nous avons sacrifié de nombreuses activités pour consacrer 14 services à la prise en charge de la Covid-19. Nous gérons une équation avec plusieurs inconnues.

Nous avons sacrifié les malades chroniques, notamment les cancéreux, qu’ils nous pardonnent. Il y a des situations qui priment. Un malade en situation de détresse respiratoire ne peut pas attendre. Nous ne faisons pas d’exception.
Le secteur privé est absent, alors qu’il aurait pu nous aider en matière de réanimation, comme l’ont fait leurs confrères des cabinets de radiologie à travers des gestes de solidarité en prodiguant des services à des prix raisonnables.

Salima Tlemcani

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