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El Watan | Algérie | 03/06/2020
Le Dr Mohamed Yousfi est chef de service des maladies infectieuses à l’EPH de Boufarik, où le premier cas Covid-19 algérien a été diagnostiqué, le 29 février dernier. Il revient, dans cet entretien, sur cette épidémie depuis l’hospitalisation du premier patient et sur la prise en charge de tous les cas hospitalisés à ce jour. Il parle de l’utilisation de l’hydroxychloroquine depuis le 23 mars et dont l’évaluation est largement positive.
Trois mois sont déjà passés depuis l’apparition des premiers cas Covid-19 dans la wilaya de Blida. Quelle évaluation faites-vous de la situation ?
Depuis l’enregistrement du premier cas algérien Covid-19, qu’on a reçu à l’hôpital de Boufarik le 29 février, et là on entame le quatrième mois, notre établissement a pris en charge plus de 2600 cas suspects de Covid-19, et 1500 prélèvements naso-pharyngés par écouvillonage ont été réalisés.
Pour vous dire l’importance du travail qui a été effectué, et qui continue d’être fait par les équipes médicale et paramédicale des maladies infectieuses du service et de l’hôpital de Boufarik quotidiennement, de jour et de nuit, les week-ends y compris, avec une forte pression, vu l’importance de l’épidémie.
Je tiens à rendre hommage à toutes ces équipes. Il faut rappeler que dans un service de santé publique, à la différence des chu, il n’y a pas de médecins résidents, donc le travail est assuré par les mêmes équipes d’infectiologues et ce à longueur d’année. C’est la même équipe qui s’occupe du malade du début jusqu’à la fin de la prise en charge et à sa sortie.
Nous avons reçu des médecins généralistes qui nous ont beaucoup aidés, mais la charge de travail est généralement assurée par l’infectiologue. Le deuxième point important sur lequel j’insiste est le fait que notre personnel de santé est composé majoritairement de femmes.
Les équipes sont constituées à 90% de femmes et mères de famille qui font la navette entre Alger et Boufarik, avec toutes les difficultés que l’on connaît vu l’importance de l’épidémie à Boufarik. A cette occasion, je tiens à leur rendre un vibrant hommage.
Maintenant, on peut dire que la situation s’est beaucoup stabilisée avec la diminution de la pression vers la fin du mois d’avril et le début du mois de Ramadhan.
Ces équipes, épuisées il faut le dire, sont toujours là, puisque les malades arrivent tous les jours, mais elles ont besoin de reprendre des forces pour continuer à assurer leur activité.
C’est pourquoi nous insistons sur le respect des mesures de prévention et des gestes barrières par les citoyens afin de pouvoir s’en sortir, car on ne peut pas continuer à mobiliser toutes les structures que pour la Covid-19.
Peut-on parler aujourd’hui d’une accalmie au niveau de Boufarifk et de Blida ?
Effectivement, il y a une accalmie, sachant qu’au mois de mars, on enregistrait entre 20 à 25 cas de Covid-19 par jour, alors qu’actuellement le nombre de cas positifs a diminué, soit moins de dix cas par jour, malgré une petite recrudescence les derniers jours du mois de mai, due certainement au relâchement et au non-respect des mesures barrières, mais ce n’est pas trop alarmant.
Globalement, la pression a effectivement beaucoup baissé, on voit moins de cas suspects ou positifs aux urgences. Ce qui est aussi rassurant, c’est la diminution du nombre de décès et des cas hospitalisés en réanimation.
La situation s’est stabilisée à notre niveau et même à Blida, mais le nombre de patients traités est toujours important. A l’EPH de Boufarik, 73 patients confirmés traités sont toujours hospitalisés au service des maladies infectieuses et celui de médecine interne.
Les enquêtes épidémiologiques autour des cas positifs pour identifier les cas contacts ont été réalisées à Blida dès le début de l’épidémie. Ces enquêtes se poursuivent-elles encore ?
C’est toujours le cas, la procédure dans la gestion d’une épidémie devant un cas suspect préconise sa déclaration automatiquement, et dès qu’il est confirmé positif, l’enquête est enclenchée par les services d’épidémiologie et de médecine préventive du lieu de résidence du cas et effectuée par les épidémiologues.
Cette procédure a été appliquée dès le début de l’épidémie, soit du 1er mars au 23 mars, jusqu’à l’entrée de la phase 2 de l’épidémie. Dès qu’un cas est détecté positif, les personnes proches sont convoquées, prélevées et confinées.
D’ailleurs, nous avions été confrontés, à ce moment-là, à une situation très difficile, vu que les kits de transport étaient insuffisants, alors que le nombre de cas suspects était important, notamment les cas contacts, et seul l’Institut Pasteur était habilité à faire le diagnostic.
Prises de panique, de nombreuses personnes, 20 à 30, arrivaient et exigeaient d’être prélevées sans compter les cas contacts convoqués par le Semep.
Un afflux important a été enregistré, d’où la pression exercée sur les équipes sur place. Au départ, et ce, jusqu’au 23 mars, tous les cas contacts étaient prélevés et confinés, en attendant les résultats. Dès qu’un cas est déclaré positif, il est automatiquement hospitalisé et mis en isolement.
Un test PCR de contrôle est effectué au 7e jour et renouvelé à 24 heures d’intervalle, après, dans le cas où les résultats sont négatifs, la personne quitte l’hôpital.
Une fois que la phase 3 de l’épidémie a été décrétée, une circulaire datant du 23 mars a instauré le traitement avec l’hydroxychloroquine pour les cas modérés et sévères.
A partir de ce moment-là, les cas contacts asymptomatiques étaient automatiquement confinés chez eux pendant 14 jours, tout en étant en contact avec le service, et au moindre symptôme, ils devaient se présenter à l’hôpital.
Nous avons suivi à la lettre les circulaires et les directives nationales mises en place par les experts et le comité scientifique de suivi de l’évolution de la pandémie, malgré toutes les difficultés rencontrées pour l’acquisition des kits de transport lors de cette période de forte tension. N’étaient donc prélevés que les cas symptomatiques.
Je dois rappeler que les enquêtes épidémiologiques lors d’une épidémie sont évidemment lancées, car pour chaque cas positif, il y a au moins trois à quatre cas contaminés. Au niveau de Boufarik, les enquêtes épidémiologiques se sont poursuivies. Je dois souligner que l’enquête épidémiologique n’est pas propre à la Covid.
L’instruction ministérielle du 27 mai dernier rappelle ainsi l’importance de ratisser large autour des cas confirmés pour casser la chaîne de transmission. Les cas contacts symptomatiques doivent être prélevés, et dans le cas où il y a des cas confirmés positifs, ils sont directement hospitalisés et mis sous traitement.
Maintenant, pour ce qui est des cas contacts asymptomatiques, ils sont bien sûr confinés chez eux et suivis par les équipes d’épidémiologistes, et dans le cas de l’apparition d’un symptôme, ils sont orientés vers un centre de prise en charge.
Il est effectivement difficile de confiner des familles chez elles, où parfois les conditions d’hébergement ne le permettent pas, mais des propositions ont été faites dans certaines wilayas pour réquisitionner les hôtels, les centres de loisirs ou les cités universitaires.
La situation actuelle permet de le faire, puisque l’épidémie est en déclin et les quantités de kits de prélèvement sont suffisantes pour tester les cas symptomatiques mais pas pour un dépistage de masse, tel que c’est fait dans certains pays. Le test PCR demeure l’outil de diagnostic de référence.
L’hyroxychloroquine fait actuellement l’objet d’une polémique quant à son efficacité suite à la publication d’une étude par la prestigieuse revue The Lancet et l’Oms a suspendu ses essais. Qu’en pensez- vous ?
Je rappelle que l’OMS n’a jamais fait de recommandation pour l’utilisation ou non de l’hydroxychloroquine. La dernière déclaration de son directeur général a porté sur la suspension de ses essais avec l’hydroxychloroquine et l’arrêt de l’inclusion de nouveaux malades dans les essais cliniques.
Ainsi, chaque pays est souverain d’adopter la démarche qui lui convient, du moment qu’aucune recommandation n’autorise ni n’interdit son utilisation. Devant cette épidémie inédite, beaucoup de pays ont opté pour ce traitement sur la base de publications scientifiques et selon leur situation épidémiologique.
Comme cela a été le cas pour la Chine, la France dans l’IHU de Marseille ainsi qu’Atlanta suite aux recommandations du CDC pour l’utilisation des médicaments comme le Lopinavir/Ritonavir.
Depuis le 23 mars, nous avons initié le traitement pour les cas modérés et sévères, d’autant que le virus était actif à ce moment-là et on recevait beaucoup de malades sévères et symptomatiques, après concertation entre les experts, notamment les pneumologues, les infectiologues sur la base des publications scientifiques suscitées, et la décision a été prise pour donner la chance aux patients algériens d’être traités et soulagés.
Le traitement a été également élargi aux cas bénins. A l’EPH de Boufarik, 600 patients ont été mis sous ce traitement et la majorité de nos malades sont guéris et les autres évoluent bien sans les effets secondaires décrits dans cette étude publiée dans The Lancet ou ailleurs.
Notre évaluation est largement positive et les autres centres affirment la même chose. Nous avons constaté très peu d’effets secondaires graves, même pour ceux dont le traitement a été interrompu.
Les complications cardiaques ont été très rares, sachant que nous sommes l’un des services ayant traité plus de malades et aux normes requises, à savoir le diagnostic confirmé par le test PCR, qui est renouvelé lors du contrôle après le traitement pour déclarer la guérison.
Le nombre de cas mis sous traitement augmente tous les jours et plus de 50% sont diagnostiqués par radiologie, notamment le TDM thoracique. Comment expliquez-vous cela ?
Le diagnostic de référence de cette infection virale Covid-19 reste le test PCR par prélèvements naso-pharyngés par écouvillonage. Effectivement, beaucoup de patients sont diagnostiqués par la radiologie à défaut de kit de PCR dans certains centres de prise en charge.
Une situation particulière à laquelle il fallait trouver une solution. Le ministère de la Santé a donc autorisé le recours au scanner thoracique pour le diagnostic des cas probables en se basant sur les éléments cliniques et biologiques pour pallier ce problème de pénurie de tests.
Maintenant, je pense que le problème ne se pose plus puisque des quantités suffisantes de kits PCR ont été mises à la disposition des établissements de santé.
La radiologie, en l’occurrence le scanner thoracique, a sa place dans le suivi, l’évaluation de la maladie et après guérison, car il peut y avoir des séquelles, mais en principe, on devrait revenir à la méthode scientifique validée, qui est la PCR, le gold standard pour un diagnostic de certitude.
La courbe épidémique a entamé depuis quelques jours son déclin. Pensez-vous que c’est la fin de l’épidémie ?
C’est une question à laquelle très peu de gens peuvent répondre. Il y a encore beaucoup de zones d’ombre pour cette épidémie. Mais il est clair que selon les projections des épidémiologistes et d’autres spécialistes, l’épidémie est en phase descendante de par le monde.
Ils estiment qu’en comparaison avec d’autres maladies virales, cette épidémie disparaîtra avec l’arrivée de l’été. Mais cela reste le côté théorique.
Concrètement, l’épidémie est effectivement en baisse chez nous, mais nous n’avons aucune certitude qu’elle va disparaître ou rebondir vers l’automne. C’est l’avenir qui nous le dira, la vigilance doit rester de mise et nous ne pouvons compter que sur les mesures de prévention, en l’occurrence la distanciation sociale et le port du masque.
Il y va de la santé des citoyens, de toute la société et de tous les efforts consentis par le personnel de la santé, bien que de par notre responsabilité, nous sommes obligés de rester debout, mais cela nécessitera encore et encore la mobilisation de toutes les capacités, qu’elles soient humaines ou matérielles.
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