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Revue de presse

Stratégie de lutte contre le Covid-19 : Les recommandations d’un groupe d’épidémiologistes

El Watan | Algérie | 30/03/2020

Sous le titre : «Contribution d’un groupe d’experts algériens à la réflexion sur la lutte contre le Covid-19», les initiateurs de cette réflexion ont tenu à souligner d’emblée : « La présente note se veut une contribution collective à l’effort national de lutte contre la pandémie Covid-19 ».
C’est un précieux document que celui que vient d’élaborer un groupe d’épidémiologistes algériens qui ont tenu à apporter leur pierre à l’édifice dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus.

Ce groupe de réflexion est composé des professeurs Mohammed Belhocine, expert international qui a collaboré notamment avec l’OMS et le PNUD ; Nourredine Zidouni, spécialiste en tuberculose et maladies respiratoires et expert international ; Leila Houti, épidémiolgiste, chef de service ; Allel Louazzani, épidémiologiste et ancien fonctionnaire de l’OMS, et Khaled Bessaoud, également épidémiologiste et expert international. Sous le titre : «Contribution d’un groupe d’experts algériens à la réflexion sur la lutte contre le Covid-19», les initiateurs de cette réflexion ont tenu à souligner d’emblée : «La présente note se veut une contribution collective à l’effort national de lutte contre la pandémie Covid-19.

Les auteurs l’ont rédigée après amples consultations virtuelles entre eux, convaincus qu’il est de leur devoir citoyen de contribution et nourris par l’expérience vécue ici ou ailleurs, que dans les cas d’urgence sanitaire, l’intelligence collective ne doit souffrir ni d’exagération ni de minimisation des faits, ni de mise à l’écart des compétences ou des idées d’où qu’elles proviennent, l’ennemi étant en la circonstance non pas le collègue, le citoyen ou même l’adversaire, mais le virus Covid-19.»

Pour le Pr Mohammed Belhocine et ses confrères, il est important de tirer les enseignements des épidémies antérieures qui ont marqué notre époque pour mieux affronter le Covid-19.

« L’adaptation des leçons tirées des épidémies récentes à potentiel pandémique, telles que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS, 2002-2003), ou le Syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRME, 2012) ou encore l’épidémie à virus Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest (2014-2017) s’avère précieuse pour l’organisation de la riposte au Covid-19 », notent-ils.

« Une des leçons majeures tirées de ces épidémies et notamment de la dernière, c’est la nécessité absolue, selon les experts, d’une organisation ad hoc de la riposte.
L’OMS suggère qu’une telle organisation s’articule autour de huit piliers qui vont bien au-delà des aspects purement médicaux ou hospitaliers pour embrasser les dimensions de planification, de gestion, ainsi que les composantes sociale, épidémiologique, sécuritaire, biologique, thérapeutique, financière, opérationnelle, et logistique de l’épidémie
. » Cette organisation préconisée par l’OMS «peut servir à comparer avec ce qui se fait chez nous aujourd’hui, afin d’identifier ce qui est pertinent, ce qui est déjà réalisé et ce qui resterait à faire pour améliorer notre dispositif de riposte» relèvent les auteurs.

D’après eux, il y a encore « beaucoup de travail et d’efforts à déployer, surtout si l’on pense à une absolue nécessité de décentralisation de l’organisation qui doit, au fur et à mesure, épouser les contours géographiques de propagation du virus, sans négliger de préparer les autres wilayas à faire face à toute éventualité».

« Nous saluons les mesures de confinement »

Evaluant les mesures qui ont été décrétées jusqu’à présent, le groupe de réflexion déclare : « Nous saluons les mesures de confinement qui ont été prises de manière graduelle, mais suffisamment rapprochées dans le temps. Elles permettent en effet de réduire quelque peu la propagation du virus dans la société, ce qui, en l’absence d’antidote spécifique ou de vaccin, permet d’espérer une réduction du nombre de cas de maladie et par conséquent, une réduction de la pression portée à notre système de santé.
Nous mesurons aussi à sa juste valeur l’effort de communication observé
» Et nos épidémiologistes et cliniciens d’expliciter leur démarche : « Nous voudrions ici apporter notre avis et nos propositions sur cinq points qui nous semblent critiques : la gestion de la crise sanitaire au niveau central ; le suivi épidémiologique au niveau communautaire ; la protection des structures et personnels de santé ; l’organisation de l’administration des traitements médicamenteux ; la communication. »

S’agissant du premier point, les auteurs constatent : « Il est habituel de voir la mise en place, en cas d’épidémie, d’une commission nationale chargée de superviser les activités de riposte, appuyée au besoin par un groupe d’experts ou comité scientifique. Ce que l’épidémie d’Ebola nous a appris, c’est qu’un tel dispositif ne suffit pas, au vu de l’ampleur des défis posés.
A mesure que l’épidémie se développait, tous les pays ont évolué vers une organisation comprenant des épidémiologistes, des gestionnaires de données, des spécialistes de gestion des urgences et des communicateurs de santé
. »

Ces compétences, préconisent nos experts, doivent être intégrées « dans le cadre d’un système dit de gestion d’incident (SGI)». «Le SGI est en général confié à un gestionnaire d’incident (ou coordinateur national) qui ne fait que cela, libérant par là même les autorités sanitaires ou autres qui peuvent se concentrer sur les aspects de gestion courante de leurs départements respectifs et surtout de venir en appui à l’équipe intégrée dédiée à la riposte. »

Le suivi des personnes contacts « est impératif »

Concernant « le suivi épidémiologique au niveau communautaire», les auteurs estiment que les mesures de confinement, si elles sont nécessaires, «ne règlent pas de façon radicale le problème de la transmission du virus ».
« En effet, à la levée du confinement, il peut y avoir reprise de la transmission si des porteurs sains (souvent contacts de patients ou contacts de contacts de patients) sont restés non recensés », préviennent-ils, avant d’ajouter : « Si l’on veut parvenir à une réponse efficace, comme ce qui a été réalisé avec Ebola en Afrique de l’Ouest, avec le SRAS à Hong Kong, ou avec Covid-19 en Chine, en Corée du Sud ou au Japon, on ne peut absolument pas faire l’économie de mesures strictes de santé publique, comme le recommande d’ailleurs avec insistance l’OMS

Pour endiguer la menace virale, le Pr Belhocine et ses pairs recommandent : « En complément du confinement et de la surveillance des points d’entrée, la démarche appelée »Suivi des contacts » (Contact tracing en anglais) est impérative. Elle nécessite la mise sur pied d’équipes mobiles de quelques personnes dirigées par un épidémiologiste ou un médecin. »
« Les enquêtes doivent être le plus exhaustives et le plus rigoureuses possible pour ne laisser échapper, si possible, aucun contact» insiste ce groupe de spécialistes. Pour ce qui est de «la protection des structures et personnels de santé», ils attirent l’attention sur le fait que «les hôpitaux et les structures de santé en général sont des lieux où le risque d’infection est grand ».

« En raison de sa haute transmissibilité, de la possibilité de faux négatifs et d’une période d’incubation qui peut s’étirer jusqu’à 22 jours, le Covid-19 peut créer un cycle de transmission communauté- hôpital/structure de santé – communauté dont il faut essayer de se prémunir au maximum », avertissent ces experts.

« Dans une situation épidémique comme celle que nous vivons, il est normal que la crainte des personnels de santé soit aussi grande que la crainte de la population. Encore une leçon de l’épidémie d’Ebola, la première mesure (mais pas la seule) qui fait baisser ce type de tension est une formation massive (elle est rapide) de tous les personnels de première ligne (y compris ceux chargés des enquêtes de suivi des contacts) et des personnels soignants des cas hospitalisés en prévention et contrôle de l’infection (PCI) », conseillent nos professeurs.

« Cette formation, qui peut se faire en ligne, doit s’accompagner d’un approvisionnement suffisant en intrants nécessaires pour le travail, à commencer par tous les équipements de protection individuelle (EPI) mais aussi les intrants de laboratoire, etc. Ces actions renforcent la confiance du personnel de santé et protègent les structures de santé.»

A propos de la chloroquine

Autre question cruciale abordée par ce groupe d’experts : le recours à la chloroquine, un traitement qui divise les scientifiques. « L’utilisation de la chloroquine ou son dérivé, l’hydroxychloroquine à visée thérapeutique, a été annoncée par nos autorités sur la base de conclusions préliminaires internationales encourageantes », indiquent les auteurs. Ils passent ensuite au crible les effets du traitement controversé : « Ce médicament, peu coûteux, est connu dans d’autres utilisations (paludisme, certaines maladies chroniques).
Dans la maladie causée par le Covid-19, il a un double effet : d’une part un effet antiviral direct, et d’autre part, il freine les complications inflammatoires dues au virus. La manière dont on préconise son utilisation verrait une diminution de la mortalité et aussi, et surtout, une baisse des infections dans les unités de soins (personnel et patients ou rares visiteurs), ce qui n’est pas négligeable

« Toutefois, précisent nos professeurs, vu le faible recul et l’impossibilité d’une conclusion définitive sur son utilité à ce stade, son utilisation dans les infections à Covid-19 doit rester dans le cadre d’un protocole de recherche national autonome ou s’inscrire dans un partenariat international. L’OMS propose un protocole pilote et une plateforme de partenariat dont on pourrait faire usage.» «Telle que préconisée actuellement, observent ces spécialistes, la chloroquine ou l’hydroxychloroquine ne réduiraient en rien la transmission communautaire.
Or, il semble que son administration réduit significativement le portage de virus après six jours de traitement. Cette réduction du portage – donc de la contagiosité – peut constituer une arme efficace contre la transmission communautaire. C’est pour cela que notre groupe, composé d’épidémiologistes et de cliniciens, propose qu’ un protocole de chimioprophylaxie soit élaboré sous l’égide du comité scientifique avec la participation de toute compétence dans le domaine et en accord avec les recommandations de l’OMS en matière de recherche sur les traitement du Covid-19.
Ce protocole définirait les modalités d’administration de ce traitement, sous contrôle médical bien sûr, aux personnes contacts ou contacts de contacts. S’il se trouve que le médicament réduit l’excrétion virale en six jours, alors, nous pouvons espérer une rupture quasi totale de la transmission communautaire assez rapidement.»

Pour une « communication transparente »

Dans ce même registre, les auteurs soulignent que « d’autres médicaments sont testés à travers le monde. On peut citer : i. Le losartan qui est un bloqueur du récepteur 1 de l’angiotensine (AT1R) qui, selon les chercheurs, pourrait jouer un rôle dans le blocage d’une enzyme utilisée par le virus pour se lier aux cellules. ii.
Le remdesivir, un médicament antiviral expérimental de Gilead Sciences Inc, qui est administré aux patients hospitalisés par perfusion intraveineuse sur plusieurs jours». Nos épidémiologistes affirment dans la foulée que «plus tôt ce mois-ci, le New England Journal of Medicine a décrit comment le médicament a été utilisé avec succès sur le premier patient infecté par le nouveau coronavirus aux États-Unis. iii.
Il existe des preuves scientifiques que le plasma convalescent de patients qui se sont rétablis d’infections virales peut être utilisé comme traitement sans survenue d’événements indésirables graves. Par conséquent, il pourrait être utile de tester l’innocuité et l’efficacité de la transfusion de plasma convalescent chez les patients infectés par le Covid-19

Enfin, s’agissant du volet communication, le groupe d’experts insiste sur la nécessité de tenir le public informé de l’évolution de la situation épidémiologique en toute transparence. « Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, l’OMS recommande une communication transparente au public sur ce que l’on sait de Covid-19, ce qui est inconnu et ce qui est fait.
Elle préconise l’annonce de tout changement dans la stratégie de réponse et de la nature de toute intervention de préparation et de réponse. Le message doit être réactif, empathique, transparent, culturellement approprié et cohérent, dans les langues locales
», plaident nos honorables professeurs. « Enfin, la mise en place de systèmes pour détecter et répondre aux préoccupations, rumeurs et informations erronées est recommandée » ajoutent-ils.

« Notre groupe voudrait insister sur le fait que la transparence et la non rétention de l’information sont le meilleur moyen d’obtenir une adhésion large du public aux actions menées ou proposées, en plus du fait que cela ne laisse plus que peu de place aux rumeurs ou fausses nouvelles, auxquelles des réponses doivent être apportées », conclut le document.

Mustapha Benfodil

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