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Revue de presse

Secteur de la santé en Algérie : peut-on construire du neuf avec des idées surannées ?

El Watan | Algérie | 19/01/2020

Une des profondes motivations du mouvement populaire du 22 février 2019 est certainement l'incommensurable insatisfaction de la majorité de la population et des professionnels de la santé par rapport au système de soins en place dans le pays.

Chaque jour apporte son lot de faits marquant la déliquescence toujours plus profonde de notre système de santé. Il y a, à l'évidence, une rupture profonde de confiance entre les citoyens et le système de santé, en état de dégradation avancé. Nul n'est satisfait du système actuel, malgré les dépenses de santé énormes assumées par l'Etat, la sécurité sociale et, de plus en plus, par les ménages et citoyens.

Aussi, grandes sont les attentes des Algériens quant aux solutions et aux réformes que proposera et surtout qu'engagera le nouveau gouvernement pour sortir le système de santé de l'état de déliquescence avancée dans lequel il se trouve. Les premières déclarations du Président Tebboune sur la santé méritent un débat sur leur pertinence et capacité à répondre aux besoins du pays.

Le président Tebboune a mis en avant «la nécessité d'un plan sanitaire intégré garantissant les soins adéquats aux citoyens avec l'examen de la manière d'augmenter la part du secteur de la santé dans le Produit intérieur brut (PIB) en vue de construire des centres hospitaliers et de nouveaux centres hospitalo-universitaires répondant aux standards internationaux et d'améliorer les infrastructures existantes». Les priorités et les solutions préconisées sont donc pour l'essentiel l'augmentation de la part de la santé dans le PIB et la construction de nouveaux centres hospitalo-universitaires.

Ces orientations sont utiles et peuvent alléger quelques difficultés actuelles, mais elles gagneraient à être renforcées à la lumière des enjeux de la santé en Algérie. Elles soulèvent un certain nombre de questions sur les voies préconisées de sortie de la crise sanitaire grave que vit le pays. Ces orientations sont-elles fondées sur un diagnostic rigoureux du système et de la politique de santé en place ? Cela est-il conforme à l'expérience internationale et aux enseignements tirés des meilleures pratiques dans le monde ?

Cela répond-il tout simplement aux besoins exprimés par les patients et les professionnels de la santé dans notre pays ? Ce qui est proposé est-il différent de ce qui a été fait jusqu'à présent ? Pour simplifier, la résolution des problèmes de santé dans notre pays réside-t-elle dans plus d'argent, d'équipements et de bâtiments ?

Augmenter la part consacrée à la santé dans le PIB du pays : est-ce la solution miracle ?

La part du produit intérieur brut consacrée à la santé reflète l'importance et l'ampleur des ressources accordées aux soins préventifs et curatifs dans leur ensemble pour un pays. Son augmentation peut donc signifier un investissement plus grand dans la protection de la santé et la lutte contre les maladies. Elle peut aussi signifier une inflation des dépenses de santé par rapport à la croissance du revenu d'un pays. Il y a de très grandes différences entre les pays en ce qui concerne le pourcentage de la santé dans le Produit intérieur brut (PIB).

Cela varie de 3 à 15%, selon les données de l'OMS (1). Les pays les plus riches consacrent des parts élevées tandis que les pays à revenu intermédiaire et les pays pauvres consacrent des parts relativement faibles de leur PIB au secteur de la santé. Ce qui est remarquable, c'est que les performances d'un système de santé, mesurées notamment par les indicateurs habituels des états de santé, de qualité des services et satisfaction des usagers et des professionnels de santé ne sont pas corrélées directement à la part du PIB consacrée à la santé. Les pays les plus performants et équitables ne sont pas ceux qui ont la part du PIB consacrée à la santé la plus élevée. L'exemple des Etats-Unis d'Amérique en est la parfaite illustration : ce système est très dépensier et coûteux.

Il est performant sur le plan technique et de l'innovation, mais très inéquitable et fragmenté, laissant de larges franges de la population sans accès effectif aux soins de base et à la couverture médicale. Plus de 28 millions d'Américains n'ont aucune forme de couverture médicale et 44 millions sont sous-assurés et croulent sous les dépenses de soins payées de leurs poches (2).

A l'inverse, certains pays consacrant une part croissante mais raisonnable de leur PIB à la santé, assurent une meilleure prise en charge de leur population et affichent de bons indicateurs de santé. Ainsi en est-il pour des pays comme le Canada, l'Allemagne, la Turquie ou Cuba. On peut donc dire que plus ne veut pas forcément dire mieux.

Il y a de nombreux facteurs à considérer au-delà du ratio santé/PIB et notamment celui de l'utilisation effective des budgets alloués et qui en bénéficie réellement. Il y a aussi la part de la prévention dans les dépenses de santé, les interventions sur les déterminants de la santé comme le mode de vie, l'hygiène, la qualité de l'habitat, de l'alimentation, des transports, de l'environnement et autres services publics de base. Pourquoi augmenter la part de la santé dans le PIB si les ressources sont mal allouées, mal gérées, non évaluées, détournées et gaspillées à tous les niveaux ?

La part de la santé dans le PIB a, selon l'OMS, fortement augmenté en Algérie entre 2005 et 2017, elle a doublé et est passée de 3,2 à 6,4%(3). Est-ce pour autant que la qualité des services de santé, les états de santé de la population et la satisfaction des usagers et des professionnels de la santé ont connu la même augmentation ?

Pourquoi augmenter la part du PIB consacrée à la santé si de nombreuses infrastructures de santé, publiques et privées, sont sous-utilisées, fonctionnant très partiellement, mal réparties sur le territoire national, gérées de manière archaïque et n'obéissant à aucune logique de santé publique ?

Impact possible d'une augmentation de la part de la santé dans le PIB

Augmenter la part de la santé dans le PIB dans un contexte dégradé et défavorable, c'est accroître le champ du gaspillage, de la gabegie et des détournements sous diverses formes. C'est aussi retarder l'acquisition de la culture de l'utilisation rationnelle des ressources existantes, de la responsabilité, de l'évaluation objective et de la reddition des comptes. C'est renforcer l'idée que plus de médecins, de médicaments, d'hôpitaux et de laboratoires induira forcément une meilleure santé et prise en charge de la population.

Toute l'histoire de la politique de santé en Algérie et dans le monde prouve que cela n'est pas le cas. L'offre de soins, publique et privée, s'est accrue à vive allure dans notre pays depuis l'indépendance sans pour autant donner satisfaction aux malades et leurs familles ni tisser une relation de confiance entre le système de santé, dans sa diversité inégalitaire, et les populations du pays.

Augmenter la part de la santé dans le PIB peut se faire de diverses manières. Cela dépendra, en particulier si l'on est dans une tendance à la hausse, à la stagnation ou à la baisse du PIB. On sait qu'en Algérie, les perspectives de croissance économique à court terme sont très faibles et que les contraintes financières internes et externes sont très fortes, laissant peu de marges de manœuvre aux décideurs. Est-ce par l'augmentation des dépenses de santé de l'Etat, de la sécurité sociale ou des ménages que la part consacrée à la santé sera augmentée ? Les effets sur l'accès aux soins et les implications financières sont totalement différents.

On sait que les finances publiques ainsi que les comptes de la sécurité sociale sont actuellement déficitaires. Est-ce par une réallocation des ressources de l'Etat et de la sécurité sociale que se fera l'augmentation de la part de la santé dans le PIB ? Quels ministères ou secteurs verront une partie de leurs budgets reprogrammée et réallouée à la santé ? Quelles composantes des dépenses publiques actuelles seront réduites ? Qui décidera et comment ?

Une autre approche à ne pas négliger est de valoriser la contribution du secteur de la santé à la croissance du PIB. L'industrie pharmaceutique et des produits de santé que le gouvernement souhaite développer et promouvoir peut jouer un rôle positif et contribuer à la richesse nationale et à la satisfaction des besoins de la population. Malgré les immenses progrès réalisés, elle reste fragmentée, peu intégrée, et fragile car très protégée et soutenue par différents mécanismes publics qui limitent sa compétitivité et viabilité à terme. Elle devra faire sa mue dans le cadre d'un système de santé et d'une politique pharmaceutique profondément remodelés.

Une tendance forte notée depuis une décennie au moins est la part croissante des dépenses de santé financées par les ménages. L'ONS estime à plus de 25% la contribution des malades et de leurs familles aux dépenses nationales de santé. Cette part résulte des multiples paiements faits par les ménages du fait du recours aux soins tant dans le secteur public que privé. La croissance vertigineuse du secteur privé et l'effritement de la gratuité des soins dans le secteur public expliquent en partie ce constat.

Dès lors, l'augmentation de la part de la santé dans le PIB se fera-t-elle par un financement croissant des dépenses de santé par les usagers des services de santé ? Est-ce désirable, justifié, efficient et équitable ? Toute l'expérience internationale nous montre que le paiement des soins par les usagers est source d'iniquité et n'est favorable ni à l'accès aux services de santé ni à la maîtrise des dépenses nationales de santé.

Au total, l'augmentation de la part de la santé dans le PIB ne peut être un objectif d'une nouvelle politique de santé en Algérie. Elle est au mieux un moyen, à condition que cette augmentation soit portée par une croissance économique forte, un financement collectif équitable, une allocation des ressources focalisée sur les interventions de santé à fort impact et une recherche continue de l'efficience avec une évaluation régulière sans complaisance. Construire des centres hospitaliers et des nouveaux centres hospitalo-universitaires aux standards internationaux : est-ce la meilleure réponse aux déficits de soins et aux besoins de santé des populations ?

Considérer que le déficit en infrastructures hospitalières est un des problèmes essentiels de santé en Algérie et une erreur stratégique de diagnostic sur l'état réel du système de santé. Depuis au moins 30 ans, la construction de nouvelles infrastructures hospitalières et hospitalo-universitaires dans le pays a été relativement continue. Des budgets colossaux ont été consacrés à leur équipement et fonctionnement sans pour autant améliorer significativement l'efficacité et la qualité des soins, le degré de satisfaction tant des patients et familles que des professionnels de la santé, y compris les hospitalo-universitaires.

Le déficit et les lacunes ne sont, en réalité, pas dans l'insuffisance quantitative des bâtiments et équipements hospitaliers. Ils sont principalement situés dans l'absence de capacités réelles de planification, de gestion, de maintenance, d'information, d'évaluation, de formation, de recherche et de coordination de qualité à tous les niveaux du système de santé.

On connaît les désastres causés par le manque de maintenance des équipements hospitaliers coûteux du fait des procédures bureaucratiques, qualité du personnel ou sabotage délibéré dans certains cas. Les lacunes sont dans l'absence de régulation effective du système de soins, tant par les organes de l'Etat, centraux et périphériques, que par les organes professionnels, les représentants des patients et des usagers des services de santé qui restent largement absents, voire exclus de toute concertation sur le fonctionnement du secteur de la santé en Algérie.

Le fait remarquable est la mauvaise répartition territoriale des infrastructures sanitaires et des personnels de santé, aggravée par la faible utilisation des capacités existantes. Certains établissements et services hospitaliers ont un taux ridiculement bas d'occupation des lits induisant des coûts élevés des prestations réalisées. Il existe de réels déserts médicaux dans le Sud et dans les Hauts-Plateaux, les déficits y sont énormes, notamment en termes de disponibilité et de qualité des services spécialisés.

Des solutions partielles y sont apportées sans succès durable comme le pis aller qu'est le service civil ou l'appel à la coopération technique étrangère, ou encore cette pratique des «caravanes médicales» appelée pompeusement «coopération Nord-Sud» par laquelle des spécialistes des CHU font du bénévolat dans les hôpitaux du Sud quelques jours par an. Il y a, à l'évidence, une inégalité flagrante dans le respect du droit aux soins pour les citoyens de ces régions.

La construction de nouveaux CHU et établissements hospitaliers fera le bonheur des entreprises étrangères et locales d'ingénierie, de conception, de réalisation et de vente des infrastructures, équipements et produits médicaux de toute sorte. Elle pourra aussi offrir des opportunités de promotion de chefs de service et d'emploi pour des personnels de santé.

Elle ne rendra pas forcément service à la population si ces établissements n'adoptent pas les règles managériales nécessaires, subissant de multiples défaillances dans la maintenance des équipements et dans la gestion des stocks ; si l'accès aux services et aux soins privilégie les amis et les connaissances ; si l'absentéisme des chefs et des personnels est fréquent ; si la coordination entre les services hospitaliers et ambulatoires est chaotique ; si le système de suivi et d'information est défaillant ; si l'évaluation est absente. En un mot, si le mode de gestion et de fonctionnement actuel des hôpitaux est reconduit, maintenu, élargi.

La croissance quantitative des capacités hospitalières doit s'accompagner d'un changement qualitatif radical dans la gestion, dans l'encadrement et dans la place des hôpitaux dans le système de soins. L'orientation du président Tebboune indique, à juste titre, un «plan de santé intégré». Les hôpitaux publics et CHU doivent s'articuler et se coordonner avec les établissements extra-hospitaliers, publics et privés.

On ne peut parler de l'expansion de l'infrastructure hospitalière publique en ignorant celle des cliniques privées en forte croissance, notamment dans les grandes villes, mue principalement par la forte demande et par des objectifs de rentabilité et de retour rapide sur investissement. Les capacités des autorités sanitaires publiques ne semblent pas s'être dotées des moyens et outils pour une régulation effective du secteur privé en dehors des procédures d'autorisations bureaucratiques habituelles largement inefficaces et sources de multiples déviations.

Au total, la construction de nouveaux CHU, même conformes aux standards internationaux, n'est pas une priorité en dehors des régions du Sud et des Hauts-Plateaux et à condition que l'on considère cela dans un plan de santé intégré au niveau régional et sous-régional. L'amélioration de toutes les infrastructures existantes est une nécessité, mais dans le cadre d'une effective réforme hospitalière s'inscrivant dans le cadre d'une nouvelle politique de santé.

Neuf chantiers prioritaires pour une nouvelle politique de santé

Les vrais défis auxquels fait face notre système de santé sont les transitions démographique, épidémiologique et technologique dans un contexte socio-économique et politique contraint et complexe. Ces défis restent encore ignorés ou, au mieux, traités de manière simpliste et unilatérale. Ce qui manque cruellement, c'est une vision de la santé, une stratégie et une politique de santé à la hauteur des enjeux et des besoins d'une population et d'un environnement social, scientifique et technique qui ne cesse d'évoluer rapidement.

Il est aujourd'hui indispensable d'aller vers une croissance intensive et équitable, une pleine utilisation des riches capacités humaines et des nombreuses infrastructures existantes en introduisant notamment une culture et une pratique de l'évaluation et de la reddition des comptes à tous les niveaux. C'est là une priorité absolue. Une réforme en profondeur s'impose pour sortir de l'hôpital-centrisme et des visions pyramidales bureaucratiques pour promouvoir les alternatives à l'hospitalisation et répondre aux défis majeurs du XXIe siècle : transitions politique, sociale et démo-épidémiologique, lutte contre les inégalités et les discriminations, risques liés à l'environnement et aux nouveaux modes de vie et de consommation, nouvelles approches médicales et technologies de soins, e-santé et télémédecine, nouvelles frontières de la connaissance et de la communication et nouveaux droits du citoyen et du patient. Une nouvelle politique de santé s'impose(4).

Cette réforme ne peut être le résultat de travaux à huis clos ou de décisions unilatérales et de mesures simplistes. Elle doit impliquer l'ensemble des acteurs de la santé, y compris les représentants des usagers des services de santé et des citoyens(5).
Neuf chantiers nous semblent indispensables pour sortir de l'opacité, établir un dialogue éclairé entre tous les concernés, y compris les citoyens, mobiliser toutes les compétences, élaborer des priorités de santé et enfin allouer et gérer les ressources sur des bases objectives, efficientes et équitables :

1) Mener une enquête nationale de santé pour savoir de quoi souffre et meurt la population algérienne. Quels sont les facteurs et les déterminants de la morbidité et de la mortalité par quintile de revenu, par catégorie sociale, par zone géographique et autres paramètres pertinents. Aujourd'hui, nous n'en avons aucune idée précise. Chacun a ses estimations par exemple sur la prévalence et l'incidence de telle ou telle maladie et problème de santé. Le dernier rapport sur l'état de santé des Algériens date de… 2003.

2) Elaborer de manière régulière les comptes nationaux de la santé pour savoir combien l'Etat, la sécurité sociale, les ménages et autres acteurs dépensent pour la santé. Comment est-il possible d'augmenter la part de la santé dans le PIB si on ne dispose pas de chiffres précis de la dépense nationale de santé, des sources de financement, de l'allocation des ressources et de la part du secteur public et du secteur privé, la répartition entre services de soins de base et hôpitaux ? Le seul rapport sur les comptes nationaux de la santé date de… 1985 ! Il ne s'agit pas seulement de disposer de chiffres mais surtout de les analyser pour faire des projections, définir et évaluer quelle pourrait être la meilleure stratégie de financement de la santé et de gestion des ressources dans le contexte du pays.

3) Conduire une étude sur le recours aux soins en Algérie pour savoir comment et où se soignent les Algériens et quelle est l'utilisation effective des services de santé existants. Quel est le recours réel aux soins des ménages, quel est le degré d'accès aux soins dans les établissements publics par catégorie sociale, par zone géographique, par niveau de revenu, par type de soin, type d'établissement, par spécialité ? Quelle est la part du secteur public et celle du secteur privé par zone géographique, catégorie de soins, niveau de revenu et d'éducation ? Quelle est la productivité des personnels et des établissements publics et privés par niveau, statut, spécialité et localisation ? Il faudra bien s'interroger sur ce qui reste de réellement gratuit dans les services publics de soins et à qui profite leur gratuité, comment et pourquoi… Toutes les données réunies permettront d'établir un bilan critique et objectif et faciliter un dialogue serein et informé sur les objectifs à poursuivre et les changements à introduire.

4) Un autre domaine à explorer sérieusement est la perception et les attitudes des patients et usagers des services de santé ainsi que celles des professionnels de la santé par rapport aux réalités du système et de la politique de santé en Algérie : qu'en pensent les citoyens et les professionnels de la santé ? Quel est leur degré de satisfaction et comment a-t-il évolué et pourquoi ? En quoi le système de santé répond-il ou pas aux besoins et aux attentes des usagers et des professionnels de la santé dans leur grande diversité ? Sans connaissance de tous ces aspects, la rupture et le manque de confiance entre le système et les citoyens ne feront que s'aggraver et les iniquités et inefficiences s'accroîtront.

5) La mise en place et réactivation d'organes de concertation, de dialogue et de conseils est devenue indispensable pour, d'une part, tenir compte de l'extraordinaire complexité des défis qu'affronte le secteur de la santé et, d'autre part, être à l'écoute des réalités du terrain et faire contribuer toutes les ressources, compétences et experts à la définition et à l'évaluation de la nouvelle politique de santé dans notre pays. A ce titre, la mise en place effective d'un Conseil National de la Santé autonome et doté d'un budget est une priorité de même que la revitalisation de l'Institut National de Santé Publique et des Observatoires Régionaux de Santé.

6) Réviser la loi sanitaire de 2018 pour l'améliorer sérieusement sur certains titres et articles et l'aligner sur les exigences de la réforme du système de santé et de la démocratie sanitaire. Il faudra aussi publier rapidement les textes d'application des dispositions consensuelles et pertinentes de la loi et prendre à bras le corps l'épineuse question de la formation des étudiants en sciences médicales et des professionnels de la santé.

7) Débureaucratiser et contractualiser les relations entre les différents acteurs du système de soins, sortir des allocations budgétaires forfaitaires entre la Sécurité sociale et la santé et au sein du ministère de la Santé entre la centrale et les établissements publics, y compris les CHU, contractualiser les relations et introduire un financement sur la base des performances et de l'atteinte d'objectifs et d'indicateurs pertinents et mesurables sont des mesures et approches qui doivent figurer sur la feuille de route du secteur de la santé et de la réforme hospitalière formellement affichée depuis bientôt 18 années dans l'appellation officielle du ministère.

8) Renforcer les capacités de l'Etat en matière de planification, de régulation et d'évaluation de toutes les composantes du système de santé, y compris la formation et la recherche. Revoir les attributions du ministère de la Santé pour une séparation nette des fonctions de régulation et financement de celles de gestion des personnels et des prestations pour aller vers plus d'autonomie et de responsabilité des prestataires de services et de soins. Le sous-encadrement, la perte de l'expertise et des compétences ainsi que la dilution des responsabilités au sein du ministère de la Santé et de ses services extérieurs a atteint un degré des plus inquiétants. Sans décisions fortes à ce niveau, aucun progrès tangible et durable ne sera vraiment réalisable.

9) Préparer l'avenir en élaborant une stratégie nationale de santé pour 2030 et fixer les priorités du gouvernement sur 5 ans en matière de santé avec des objectifs et indicateurs de résultats pertinents et mesurables. L'objectif est de donner une perspective et de la cohérence à l'action collective dans le domaine de la santé, de piloter l'avancement des chantiers prioritaires et de servir de guide pour les politiques de santé, plans et mesures concrètes de mise en œuvre.

La stratégie nationale de santé englobe interventions sur les déterminants de la santé, offre de soins, santé publique, et protection sociale contre la maladie et les handicaps. Elle doit faire un choix déterminé de la prévention et agir tôt sur les déterminants de santé, organiser les soins autour des patients et en garantir l'égal accès à tous tout en assurant un financement efficient et équitable.

Cette liste n'est pas exhaustive et tous ces chantiers ne sont pas du même niveau de priorité et n'ont évidemment pas le même calendrier. Tous sont cependant importants à mener en parallèle à certaines urgences familières à nos ministères de la Santé depuis plus de trente ans comme les ruptures d'approvisionnement en médicaments, la surcharge des urgences dans les hôpitaux ou les statuts et salaires des personnels.

Ces urgences sont importantes et sont à traiter avec méthode et célérité, mais elles ne doivent pas détourner les décideurs de leur mission principale : fixer le cap, ouvrir les horizons, développer une vision inclusive de la santé, définir et mettre en œuvre une politique de santé équitable et efficiente en phase avec les défis du XXIe siècle.

Poursuivre les pratiques et le chemin emprunté ne fera qu'aggraver l'impasse et la crise actuelles et retarder à jamais l'éclosion d'une Algérie nouvelle où la santé de tous est au centre du projet de société que nous souhaitons bâtir ensemble.

Par Miloud Kaddar , Économiste de la Santé - 19 janvier 2020

Références

  1. Xu K, Soucat A, Kutzin J, Brindley C, VandeMaele N, Toure H. Public Spending on Health: A Closer Look at Global Trends. HO. https://www.who.int/health_financing/documents/health-expenditure-report-2018/en/
  2. William C. HsiaoHow to Fix American Health Care What Other Countries Can—and Can't—Teach the United States, Foreign Affairs January/February 2020
  3. OMS, Genève. Données par pays . https://apps.who.int/nha/database/country_profile/Index/en
  4. Miloud Kaddar : Projet de loi sanitaire : des avancées et des questions Publié dans le Quotidien d'Oran le 5 janvier 2017. https://www.lequotidien-oran.com/?news=5238478
  5. Saada Chougrani, Miloud Kaddar Expérience de la contractualisation dans le secteur de la santé en Algérie. Journal d'Économie médicale 2010, Vol. 28, n° 5, 179-193

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