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El Watan | Algérie | 08/02/2007
Mais n’est-ce pas là, une radiographie fidèle du marasme de la santé chez nous… Ce qui est sûr, c’est que le délabrement actuel de nos hôpitaux ne s’accommode guère avec l’appellation pompeuse que le ministère s’est donnée. On est à l’hôpital Mustapha Bacha, le plus grand du pays. Notre docteur fait donc avec, en attendant que les travaux engagés dans l’édifice mitoyen s’achèvent. Mais à ses yeux, ce n’est pas là le plus important. Il prend les choses avec philosophie. « Le service est en rénovation. Les murs, leur réhabilitation, c’est conjoncturel. En réalité, ce qui importe, c’est une prise en charge décente des cancéreux, c’est la méthodologie qu’on doit mettre en place pour élaborer des stratégies efficaces. »
En vérité, ici dans cette minuscule pièce, il est pratiquement chez lui. Il y passe une bonne partie de la journée, recevant les malades, souvent au-delà des horaires requis. C’est dans ces lieux qu’il a entamé sa carrière, il y a 25 ans aux côtés du regretté Tedjini Haddam qui tenait alors le service de chirurgie thoracique. Depuis, Soltane s’est fait une raison et une réputation de bosseur, mais aussi de farouche défenseur des droits. Jeune résident, il était syndicaliste et une figure de proue des protestataires dont il était le porte-parole. « C’est un combat citoyen que j’ai engagé en m’impliquant davantage aux côtés de la société civile, particulièrement auprès des malades », confie-t-il. L’enfant de Bordj Menaïel, où il est né le 23 juillet 1950, avait, à n’en pas douter, une vocation. Il vous parle avec un langage exquis de son adolescence à Boufarik et au lycée Emir Abdelkader.
Un combat citoyen
Quand il déroule ses innombrables faits et gestes passés, il le fait sans enthousiasme, avec mélancolie peut-être, mais sûrement avec nostalgie. Les images tournent en boucle dans sa tête. « C’était le bon vieux temps », se souvient-il. Son engagement pour les libertés n’est pas passé inaperçu. Il a été membre fondateur en 1985 de la Ligue algérienne des droits de l’homme de Ali Yahia Abdenour. Ce qui ne l’a pas empêché de le quitter quelques années plus tard « pour divergences ». Son combat citoyen, il l’a mené avec d’autres camarades en mettant sur pied le premier comité d’Amnesty International. Pourtant, son rapport à la politique est plutôt distant. « Je ne suis pas un homme de parti. Je n’aime pas être embrigadé, ni être à la solde des autres. Cela ne m’a jamais intéressé de prendre une carte du parti. Cela dit, il reste que je garde de grandes amitiés au sein des partis de la mouvance démocratique. Cela peut paraître paradoxal, je suis à fond pour le multipartisme, car c’est lui qui fonde une société démocratique qui peut être pérennisée par une organisation.
Mais, à mes yeux, tout repose sur la société civile », soutient-il. Aujourd’hui, il se bat pour faire aboutir son plan cancer, son cheval de bataille, sans apparemment y trouver des oreilles plus attentives. N’empêche, « le combat continue tant que la détermination est toujours de mise ». Lorsqu’on évoque les disparités parfois flagrantes et la médecine à deux vitesses, l’une pour les pauvres, l’autre pour les riches, il admet cette réalité en faisant savoir « qu’effectivement il y a de plus en plus une inégalité des chances devant la maladie liée directement aux conditions socioéconomiques des populations. Mais cette différence est aussi la résultante de la non-mise à jour de tout l’arsenal relatif à la protection sociale. Le système, ajoute-t-il, ne répond absolument pas de manière équitable à la demande des citoyens devant la maladie. Je suis convaincu d’une chose, tant que les solutions proposées émanent de bureaucrates ou sont faites dans les couloirs ministériels, cela ne peut pas fonctionner. Il faut intégrer la société civile. Il faut que les objectifs tracés soient connus, quantifiables, évaluables… ».
Le plan cancer, une priorité
« Bien sûr, au ministère, il y a toute une batterie de textes, des plans et tout le tralala, mais dans les faits ? Le citoyen a besoin de soins. Certaines zones en sont dépourvues, alors que des jeunes médecins pointent au chômage. Pourquoi ne pas les utiliser par exemple dans la médecine du travail, l’hygiène scolaire, le contrôle, le dépistage… » Faut-il être aisé financièrement ou avoir des connaissances pour bien se faire soigner ? Comme les choses ont évolué, la médecine aussi qui doit faire face à des pathologies qu’on croyait éradiquées, mais qui ont tendance à reprendre du terrain. Le docteur n’y voit pas une fatalité. « Effectivement, il y a un changement au niveau de la carte épidémiologique en Algérie.
Les populations vivent plus longtemps, on voit apparaître certaines maladies, la paupérisation d’une catégorie sociale, de la population est à l’origine de la résurgence de certaines maladies qu’on croyait éradiquées. Enfin, un grand nombre de malades achètent une partie seulement des médicaments prescrits, en raison de la faiblesse de leur pouvoir d’achat. » Quant à la recherche scientifique, elle semble faire partie des vœux pieux tant elle est considérée comme une citadelle inaccessible. « Nous nous contentons, pour l’heure, d’améliorer la qualité des soins que nous prodiguons à nos patients. Pourtant, ajoute-t-il, ce ne sont pas des travaux d’Hercule, il faut, sans que cela engage des frais considérables, impulser une nouvelle dynamique dans la prévention, les études épidémiologiques.
On peut, par exemple, arriver à un consensus sur les chiffres par pathologie, à partir desquels on peut établir des prospectives sur 5-10 ans. Or, actuellement, les chiffres avancés sont différents alors que le système actuel se contente de travailler au jour le jour. » Dans un autre registre, le docteur milite pour lancer les bonnes passerelles entre le service public et celui privé, qui n’existent pas actuellement. Il y a des situations de fait qui ne sont ni dans le sens de l’intérêt du malade ni dans celui du médecin, encore moins celui du système. Lorsqu’il évoque avec passion le plan cancer qu’il défend avec ses confrères, le ton devient plus grave, sans doute en raison des retards accusés qui ne sont pas dus seulement à des problèmes de trésorerie.
« 13 centres anti-cancéreux ont été créés, ce n’est pas du gâteau. L’Algérie met le maximum dans la santé par rapport à son PIB. Mais comme la médecine a un coût, on ne peut nous comparer aux pays développés. En Allemagne, par exemple, ils mettent 2000 à 2500 dollars par an et par citoyen. Chez nous, le plafond ne dépasse les 200 dollars. Ce qu’il nous reste à faire, c’est au moins d’optimiser nos potentialités. Vous savez, sur 3 cancers, il y en a un qui est évitable, un autre qui est guérissable, si on fait le diagnostic en temps opportun, enfin un troisième pour lequel on peut atténuer les souffrances du malade et de sa famille. Car la problématique du cancer n’est pas une problématique individuelle.
Imaginez un malade qui souffre, qui habite dans un logement exigu avec une famille nombreuse. C’est toute cette famille qui souffre. C’est en fait la cellule familiale qui éclate et, par conséquent, la société. Aussi je suis de ceux qui pensent que sans l’implication du politique, il n’y a pas de salut. » En Algérie, on dénombre 250 000 cancéreux avec 30 000 malades par an, dont la moitié ne survit pas. Le tabac, par exemple, est responsable de 40% des cancers qui touchent aussi bien les poumons que l’œsophage, la vessie ou le sang. La sensibilisation laisse à désirer et la société civile ne semble pas avoir considéré ce phénomène parmi ses préoccupations. « Actuellement, insiste notre interlocuteur, il n’existe pas dans notre pays de plan cancer, à l’image de ce qui existe dans d’autres pays. » « La prise en charge des cancers, et ce, à tous les niveaux, est très en-deçà de ce qu’elle devrait être », regrette le chirurgien.
Décloisonner l’hôpital
Soltane est de ceux qui militent pour le décloisonnement des structures médicales. « Il faut ouvrir l’hôpital. Il y a des gestes qui pourraient être faits en dehors de l’enceinte hospitalière. Penser déjà à l’hospitalisation à domicile. Car il faut le dire en toute franchise, l’hôpital a besoin d’une véritable toilette et pas seulement dans ses aspects extérieurs. Il faut mettre de l’ordre dans le financement et savoir où vont exactement les fonds colossaux alloués par l’Etat. Actuellement, nous n’arrivons même pas à savoir combien coûte un soin dans un hôpital », ajoute le chirurgien. Le médecin reconnaît par ailleurs que la dualité public/privé est une donnée incontournable. « Cette concurrence est parfois déloyale, ce qui pénalise, en premier lieu, le patient qui devient ainsi une victime expiatoire. » L’homme de terrain qu’il est, sait de quoi il parle.
La Société algérienne d’oncologie thoracique, créée en 1993 et qu’il préside, se bat bec et ongles pour prendre en charge du mieux possible les patients cancéreux, dont le nombre s’accroît d’année en année. Actuellement, fait-il savoir, la prise en charge des patients porteurs d’affections cancéreuses est multidisciplinaire. Aucune spécialité médicale, chirurgicale ou autre ne saurait se prévaloir seule de pouvoir prendre efficacement un cancéreux. Le plan anti-cancer, lancé par les autorités à Oran, ne semble pas enthousiasmer outre mesure les spécialistes qui y voient un simple centre de traitement routinier, alors qu’il est censé être un pôle ambitieux de recherche réunissant les meilleurs praticiens, chacun dans sa discipline.
« C’est comme l’équipe nationale de football, on sélectionne les plus compétents, car la mission est très pointue et nécessite la conjugaison de tous les efforts », schématise le docteur qui ne donne pas l’impression d’être emballé par ce projet. La structure dont il rêve doit, en plus de sa composante humaine de haute technicité, être dirigée par un homme qui doit bénéficier de prérogatives très larges. Ce qu’il propose ? Un plan sur 3 ans en dressant une carte épidémiologique du cancer région par région et établissant une convention cadre, pour lutter contre le tabac en associant tous les partenaires. L’exemple de la lutte timide contre le tabac renseigne sur le peu d’intérêt accordé par les politiques. Pourtant, le tabac fait des ravages au sein de la population algérienne et il a tendance à progresser sans susciter la moindre contre-attaque. La mortalité due au cancer est, pour l’essentiel, liée à un diagnostic très souvent tardif et à une prise en charge difficile et coûteuse. « Alors réagissons et vite », conclut notre chirurgien…
Parcours
Naissance le 23 juillet 1950 à Bordj Menaïel. Il fait ses études primaires dans sa ville natale, puis se déplace au lycée Ibn Toumert de Boufarik pour y poursuivre son cursus secondaire, couronné par l’obtention du baccalauréat au lycée Emir Abdelkader. Il s’inscrit à la Faculté de médecine d’Alger, au début des années 1970. Parallèlement, il est syndicaliste et s’érige en porte-parole des résidents contestataires lors des grèves déclenchées pour améliorer leurs conditions de travail, d’hébergement… Il est l’un des fondateurs de la 1re Ligue des droits de l’homme en 1985 sous l’impulsion de Ali Yahia Abdenour. Il effectuera quelques stages en France au milieu des années 1990. Il est au service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire depuis 1981. Depuis 1993, président de la Société algérienne d’oncologie thoracique (SAOT). Il exerce depuis un quart de siècle, en tant que chirurgien thoracique au centre Pierre et Marie Curie de l’hôpital Mustapha Bacha.
Hamid Tahri
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