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Revue de presse

Sage-femme en Algérie : Une profession en voie de disparition

Le soir d'Algérie | Algérie | 17/12/2006

Méchante, irritable, grincheuse, froide, stricte. Stigmatisée, la sage-femme en Algérie ne récolte, ces dernières années, que ces qualificatifs. Et pourtant, elle est le maillon fort et incontournable de la santé publique devant effectuer de multiples tâches. C’est parce qu’oubliée et marginalisée et que cette «espèce» est en voie de disparition. Beaucoup d’entre elles ont émigré sous d’autres cieux, d’autres changent de spécialité et près de la moitié vont partir en retraite. Quelques-unes encore n’ont pas encore coupé le cordon ombilical.

Plus de 25 consultations par jour

Elles seront 10 000 sages-femmes à porter secours à des millions de bébés et de mamans sur le territoire national en 2007. Et elles ne dépassent actuellement pas les 9 000. Dérisoire face à une demande accrue en divers soins. Face à une demande de plus en plus pressante, les sages-femmes sont obligées d’effectuer près de 300 consultations par mois. Ce qui fait une moyenne de 25 consultations par jour. Dans la nomenclature des actes de la sage-femme, il est inscrit, entre autres, la surveillance de la grossesse, diagnostic, psychoprophylactique de l’accouchement normal, surveillance et pratique de l’accouchement, surveillance post-natal, prescription et application d’une contraception, vaccination de la population dont elle a la charge, surveillance de la croissance staturo-ponderale du nourrisson jusqu’à l’âge préscolaire. «En fin de journée, nous sommes fatiguées, lasses, à bout de nerfs à cause du rythme effréné que nous devons assumer sans sourciller.

C’est ce qui fait que nous sommes irritables», témoigne une sage-femme travaillant dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI) de la capitale. Et d’ajouter : «Notre plaisir est de voir des bouts de chou grandir, leur prodiguer les soins mais pas à la chaîne et sans reconnaissance. » En fait, les sages-femmes se considèrent comme la main-d'œuvre «chinoise» du corps médical. A bas prix, avec un salaire de base de 11 000 DA, elles doivent prendre en charge plusieurs tâches et multiplier les heures supplémentaires sans être payées en retour. En 2001, le ministre de la Santé a tenté de remédier à cette situation sans grands succès. Dans une note du 8 septembre 2001, adressée aux directeurs de santé et de la population de wilaya et les directeurs généraux des CHU pour exécution, il est noté : «La sage-femme constitue un maillon essentiel dans la chaîne des intervenants de la santé publique et son rôle est primordial dans la mise en œuvre des programmes nationaux, visant notamment la lutte contre la mortalité et la morbidité infantiles.

La mobilisation des sages-femmes autour des objectifs de relance des activités de PMI et de santé reproductive, fixés pour le court terme, exige l’amélioration de leurs conditions de travail et notamment, la mise en œuvre d’un plan de carrière, en application de la réglementation en vigueur. Or, il m’a été donné de constater que les dispositions prévues par le décret du 27 avril 1999 ne sont pas toujours appliquées dans les délais requis.» Le manque d’effectifs dans les rangs des sages-femmes est, en fait, dû à ces facteurs. «Les jeunes étudiantes changent de filière dès qu’elles le peuvent en repassant le baccalauréat ou en changeant de filière pour éviter de se retrouver dans le même marasme. D’autres anciennes, font des spécialités pour changer de profession et d’autres ont carrément émigré où notre compétence est reconnue à sa juste valeur», note une sage-femme à la retraite. Pour la première fois, le ministre de la Santé, Amar Tou, a demandé la formation de plus de 460 sages-femmes. D’ici-là, répondre convenablement à toutes les demandes ne sera pas aisé.

Mortalité infantile en augmentation

En 2005, estimé globalement à 30,4 pour mille, le taux de mortalité infantile a connu une stagnation par rapport à 2004. Le nombre de décès de moins d’un an a augmenté. Il est passé de 20 300 en 2004 à 21 300 décès infantiles en 2005, selon l’Office national des statistiques. Dans les statistiques sanitaires, la mortalité maternelle n’est recensée qu’au niveau du lieu d’accouchement et dans les services où la parturiente a été évacuée. Ainsi, les décès survenant à domicile ne sont pas exploitables. Une enquête menée par l’Institut national de santé publique en 1999 démontre que les morts des patientes représentent 9% de la mortalité générale. Plus de la moitié des femmes décédées, ont été évacuées, et parmi elles 57,3% proviennent des maternités publiques.

Près de la moitié des évacuations sont faites durant les heures de garde. Près du quart des motifs d’évacuation concerne l’hémorragie génitale, la rupture utérine, le syndrome vasculo-rénal. D’après le programme national de périnatalité, les morts périnatals et néonatals résultent principalement de grossesses non ou mal suivies et d’accouchements pratiqués dans de mauvaises conditions. Et selon l’enquête de la population et sur la famille «PAP/FAM 2002/2003», 80% des femmes en âge de procréer consultent pendant leur grossesse. Cependant, il est admis actuellement que nos centres de santé à vocation particulière (PMI) ne jouent pas encore un rôle important dans la surveillance des grossesses.

Les activités sont réalisées de façon routinière sans souci de leur efficacité. Il est vrai que l’insuffisance des prestations relevées au niveau de ces centres décourage les femmes enceintes qui se rabattent alors au niveau des structures privées de plus en plus nombreuses, mais qui ne sont jamais associées aux programmes de santé initiés par le secteur public. A ce titre, à Douéra, à 15 km de la capitale, le service de maternité est géré par une sage-femme. Des équipes de deux ou trois sages-femmes font la garde sans aucune assistance médicale spécialisée dans la gynécologie obstétrique. Pas de blocs opératoires sur place et les sages-femmes sont confrontées à des problèmes d’évacuation chaque fois que c’est nécessaire. Alors que dire des autres services se trouvant à l’intérieur du pays où la kabla doit assurer la garde de la maternité, la consultation et l’évacuation. Les patientes doivent être transportées au minimum sur 250 km. D’autres exemples soulignent les conditions dramatiques dans lesquelles travaillent les sages-femmes. A Dellys ou à Batna, la kabla entame une garde pendant une semaine accompagnée d’accoucheuse rurale ou bien elles se relaient.

Moyens dérisoires

Dans d’autres centres de maternité, elles sont obligées de recourir à des méthodes archaïques en ayant recours au mètre ruban pour connaître la taille du crâne du bébé ou en tâtonnant. Ou bien encore recourir au vieux stéto-obstical pour chercher les battements du cœur. Pour combien de temps encore et jusqu’à quand pourront-elles continuer à aimer la profession aux dépens de leur vie ? C’est ce qui fait dire à l’Union nationale des sages-femmes que «les conditions optimales de sécurité de la grossesse et de l’accouchement sont loin d’être réunies à l’heure actuelle en Algérie». Cette situation devrait encore se dégrader avec l’absence du code de déontologie propre à la profession de sage-femme. Le décret de périnatalité, dont les termes sont unanimement approuvés par le gouvernement et appuyés par le président de la République, n’est pas applicable actuellement sans une forte revalorisation de cette profession de sage-femme, qui assure la surveillance de la grossesse et de la naissance. La reconnaissance de la formation en tant qu’universitaire médicale avec révision du cursus dont le nombre d’années nécessaires à la formation est aussi recommandée par les sages-femmes. De surcroît, en matière de nouvelles technologies, les sages-femmes ne bénéficient pas de formation. Elles n’ont «droit» qu’au recyclage pour le planning familial, de surcroît, ces programmes ne touchent pas l’ensemble de la corporation. «Ce sont les mêmes qui reviennent», disent les sages femmes. Pour toutes ces raisons, la profession de sage-femme est en voie de disparition. Un ultime SOS est lancé des différents couloirs de la maternité pour sauvegarder ce sage métier. M. O.

Mme Akila Guerrouvhe, Présidente de l'union nationale des sages-femmes

«Le statut de la sage-femme est presque inexistant» Une mauvaise image est faite de la sage-femme, selon vous pourquoi ?

Ni médecin, ni infirmière spécialiste, la sage-femme revendique le droit à la différence à la responsabilité et à l’indépendance propre aux professions médicales. Nous sommes des praticiennes dans l’activité médicale dans le cadre de l’obstétrique normale ce qui nous autorise au diagnostic, à la prescription et à l’acte médical dans ce domaine précis. Notre profession est définie dans le cadre de la santé publique comme profession médicale à compétence limitée. Et pourtant le statut est presque inexistant pour les sages-femmes assimilées aux paramédicales dans le secteur public, confus et dévalorisant dans le secteur privé, très restreint dans le secteur libéral. Cette situation a créé des disparités injustes dans notre profession qui limite nos compétences et nous dévalorise par rapport aux autres professions médicales. La surcharge du travail de toutes natures qui en résulte n’a fait qu’accentuer le mal-être lié à cette absence de reconnaissance.

Et pourtant, dans plusieurs cas, elle est la seule interlocutrice de la future maman et du couple. Tout à fait, en vue de réduire la mortalité maternelle et prénatale dans notre pays, nous recommandons la revalorisation de la fonction de sage-femme dans l’équipe gynécologique et obstétricale en préconisant le développement d’un plan de carrière permettant à la sage-femme d’évoluer dans sa fonction. Pour concrétiser les programmes nationaux de santé, il faudrait réhabiliter la sage-femme par l’unité du corps sage-femme au corpus médical et pas paramédical avec la reconnaissance de notre qualification et notre responsabilité médicale. Développer les différentes méthodes de formations qui est une obligation déontologique dans la réforme hospitalière permettant à toute praticienne d’entretenir et de compléter sa formation initiale afin de pouvoir assurer à ses patients les soins conformes aux données scientifiques du moment que requièrent la patiente et nouveau- né.

A ce sujet, que proposez-vous pour une meilleure qualité de la formation des sages-femmes ?

Pour garantir une formation de qualité, il est nécessaire de rajouter un à deux ans au cursus universitaire de la sage-femme. Aussi, introduire les modules de pharmacologie et de déontologie pour combler le vide juridique. Nous voudrions également que la formation de sage-femme soit impliquée dans le système LMD pour avoir le choix de faire des spécialités. Ou bien dans la formation continue à l’UFC, par exemple. Pour nombre de sages-femmes ayant cumulé plus de vingt ans d’expérience, l’erreur est de décentraliser la formation alors qu’il faut l’uniformiser à l’image de tout ce qui se fait pour les autres spécialités. Et c’est pour cela que nous appelons à la reprise de l’école des sages-femmes.

Le métier de sage-femme est-il considéré comme une profession médicale ?

Non. Contrairement aux sages-femmes étrangères, notamment celles de France ou de Palestine, cette fonction n’est pas considérée comme profession médicale. Elle est considérée comme «compétence limitée». En France, la sage-femme a le droit de diagnostiquer et de prescrire, c’est ce qui caractérise une fonction médicale. Dans ce pays, il existe trois professions médicales : médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme. Or, en Algérie, les professions médicales sont le médecin, le chirurgien- dentiste et le pharmacien. Alors qu’il faut noter que la sage-femme pratique, entre autres, la délivrance manuelle, la révision utérine, l’examen sous-valve, l’injection intra murale, l’échographie, la pratique épisiotomie et sa réfection. Il faut qu’on nous inscrive à l’élargissement dans la nomenclature des actes à la prescription. Et dans ce cadre, nous demandons, l’évolution de la grille des salaires par rapport à notre formation universitaire et l’alignement des rémunérations en fonction des responsabilités civiles, médicales et pénales.

Dossier réalisé par Meriem Ouyahia

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