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Le jeune indépendant | Algérie | 28/06/2011
Le Jeune Indépendant : Peut-on savoir ce qu’est l’éreutophobie ?
Le Dr Bennegueouch : L’éreutophobie désigne la peur de rougir en public. C’est un symptôme assez répandu chez les jeunes et moins jeunes. Mais comme toute manifestation anxieuse, il y a trouble lorsque les proportions deviennent handicapantes.
Les spécialistes estiment qu’environ 2 à 3 % des personnes âgées de 15 à 40 ans seraient concernées par l’éreutophobie. Quelles répercussions ce mal peut-il avoir sur la vie sociale ?
En l’absence d’enquêtes épidémiologiques en Algérie, il est difficile de donner un chiffre exact, mais certaines études effectuées dans le monde donnent un taux de 10 % de la population juvénile et même audelà, selon la tranche d’âge sondée et l’importance des manifestations qui l’accompagnent. En effet, d’autres manifestations somatiques sont rapportées telles que l’accélération cardiaque, l’oppression thoracique, la boule oesophagienne, le noeud à l’estomac, les tensions musculaires, etc., mais aussi des tremblements, des mains particulièrement, ou encore une sudation excessive ; en fait, des symptômes visibles à l’oeil nu. Au départ, cette gêne est souvent assimilée à de la timidité. Cependant, elle peut évoluer vers une véritable phobie, avec des répercussions sur le rendement scolaire et professionnel, mais aussi dans les rapports sociaux. Aussi, elle fait partie des phobies sociales.
Selon des spécialistes, l’éreutophobie est un trouble anxieux caractérisé par la peur obsédante de rougir en public. Peut-on en savoir un peu plus ?
C’est justement ce caractère obsédant qui fait appel à des mécanismes comme l’anticipation, l’évitement, l’inhibition, d’une manière itérative, qui constitue le noyau de l’éreutophobie. Ce n’est pas une phobie spécifique, simple dans son processus comme la peur de l’eau, de l’ascenseur ou des animaux. Elle est beaucoup plus complexe du fait de sa dimension obsessionnelle. En pratique, plus la personne a peur de rougir, plus le trouble s’accentue. A l’inverse, c’est quand la personne ne fait pas de fixation sur le rougissement que le phénomène s’amoindrit, voire disparaît. Il convient de noter que cette obsession participe elle-même à l’entretien, voire à l’aggravation du trouble, ce qui entraîne le sujet dans un cercle vicieux.
On sait que le rougissement est lié à une hyperactivité du système nerveux sympathique qui contrôle une série d’actions de l’organisme indépendantes de notre volonté ; peut-on considérer le rougissement comme étant incontrôlable ?
La complexité de ce processus avec ses différents mécanismes d’action sur le plan biologique et cognitif entraîne une série de troubles somatiques, cognitifs et comportementaux. Le patient souffre de son incapacité à prendre le contrôle de lui-même, il lutte contre l’idée de rougir en public en permanence. Mais comme il est incapable de le faire, cela l’amène à l’évitement, voire à l’inhibition.
Parmi les facteurs à l’origine de ce trouble, les spécialistes évoquent l’influence de certains facteurs génétiques puisqu’il a été démontré qu’on pouvait souvent retrouver plusieurs grands «rougisseurs» dans une même famille. Qu’en est-il exactement ?
Les études familiales indiquent clairement que s’il existe une prédisposition héréditaire aux troubles anxieux, celle-ci ne peut se concevoir qu’à partir d’un modèle polyfactoriel complexe. Ce trouble est généralement un comportement acquis. Si on le retrouve dans une même famille, ce n’est pas exclusivement génétique mais l’environnement familial qui y est pour beaucoup. L’enfant ou l’adolescent atteint peut vivre dans un environnement familial renfermé, replié, sans avoir de contacts sociaux, ou encore il a très peu d’expériences de sociabilisation. L’éreutophobie devient acquise au cours de l’adolescence, parfois à la suite d’un événement traumatisant (maltraitance familiale ou à l’école, séparation.) Elle peut également être due à une surprotection de l’enfant par des parents trop possessifs ou eux-mêmes angoissés. L’enfant a donc du mal à s’exprimer face aux autres et à prendre confiance en lui-même.
Comment peut-on vaincre l’éreutophobie ?
Le principe est de permettre à l’adolescent de s’exprimer face à un public sans avoir peur de rougir. Il faut impérativement qu’il accepte cela et que ce n’est pas là une tare. Sous d’autres cieux, faire du théâtre, du yoga ou participer à des groupes de parole souvent organisés par des associations contribuent à l’amélioration du trouble. En général, ces jeunes patients souffrent en silence et passent à côté de nombreuses opportunités, notamment professionnelles. Beaucoup de métiers leur deviennent ainsi impossibles.
Comment peut-on gérer au mieux l’éreutophobie, un trouble qui s’accompagne souvent d’un sentiment général de stress et d’angoisse ? Parfois, les personnes concernées ne savent même pas à quel praticien s’adresser et quelle est la conduite à tenir ?
Quand les manifestations somatiques qui accompagnent l’éreutophobie sont importantes, les tranquillisants et les antidépresseurs type ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine), souvent utilisés en cabinet médical, soulagent. Cependant, le problème n’est pas complètement résolu. Il est impératif de consulter un psychiatre pour mieux cerner le trouble et envisager la psychothérapie la mieux adaptée.
A l’heure actuelle, en cas de problème persistant, les thérapies de type comportemental semblent donner les meilleurs résultats…
En effet, les TCC (thérapies cognitivocomportementales) sont les mieux indiquées. Cette pratique est largement utilisée dans les pays développés. Standardisée, elle est reconnue pour son efficacité. Elle commence à voir le jour en Algérie puisqu’en ce moment, des cycles de formation au profit de psychiatres sont en cours.
A. A.
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